ACTE III - Scène IV



(HERNANI, DOÑA SOL. Hernani, immobile, considère avec un regard froid l'écrin nuptial placé sur la table. Puis il hoche la tête, et ses yeux s'allument.)

HERNANI
Je vous fais compliment ! Plus que je ne puis dire La parure me charme, et m'enchante, et j'admire !(Il s'approche de l'écrin.)
La bague est de bon goût, — la couronne me plaît, — Le collier est d'un beau travail, — le bracelet Est rare, — mais cent fois, cent fois moins que la femme Qui sous un front si pur cache ce cœur infâme !(Examinant de nouveau le coffret.)
Et qu'avez-vous donné pour tout cela ? — Fort bien ! Un peu de votre amour ? Mais, vraiment, c'est pour rien ! Grand Dieu ! Trahir ainsi ! N'avoir pas honte, et vivre !(Examinant l'écrin.)
Mais peut-être après tout c'est perle fausse et cuivre Au lieu d'or, verre et plomb, diamants déloyaux, Faux saphirs ; faux brillants, faux joyaux ! Ah ! S'il en est ainsi, comme cette parure Ton cœur est faux, duchesse, et tu n'es que dorure!(Il revient au coffre.)
— Mais non, non. Tout est vrai, tout est bon, tout est beau ! Il n'oserait tromper, lui, qui touche au tombeau. Rien n'y manque !(Il prend l'une après l'autre toutes les pièces de l'écrin.)
Colliers, brillants, pendants d'oreille, Couronne de duchesse, anneau d'or… — à merveille ! Grand merci de l'amour sûr, fidèle et profond ! Le précieux écrin !

DOÑA SOL(va au coffret, y fouille et en tire un poignard.)
Vous n'allez pas au fond.(Hernani pousse un cri et tombe prosterné à ses pieds.)
C'est le poignard, qu'avec l'aide de ma patronne, Je pris au roi Carlos lorsqu'il m'offrit un trône, Et que je refusai pour vous qui m'outragez !

HERNANI(toujours à genoux.)
Oh ! Laisse, qu'à genoux, dans tes yeux affligés J'efface tous ces pleurs amers et pleins de charmes, Et tu prendras après tout mon sang pour tes larmes !

DOÑA SOL( attendrie.)
Hernani ! Je vous aime et vous pardonne, et n'ai Que de l'amour pour vous.

HERNANI
Elle m'a pardonné, Et m'aime ! Qui pourra faire aussi que moi-même, Après ce que j'ai dit, je me pardonne et m'aime ? Oh ! Je voudrais savoir, ange au ciel réservé, Où vous avez marché, pour baiser le pavé !

DOÑA SOL
Ami !

HERNANI
Non ! je dois t'être odieux ! Mais, écoute, Dis-moi : je t'aime ! Hélas ! rassure un cœur qui doute, Dis-le moi ! car souvent, avec ce peu de mots La bouche d'une femme a guéri bien des maux !

DOÑA SOL(absorbée et sans l'entendre.)
Croire que mon amour eût si peu de mémoire ! Que jamais ils pourraient, tous ces hommes sans gloire, Jusqu'à d'autres amours, plus nobles à leur gré, Rapetisser un cœur où son nom est entré !

HERNANI
Hélas ! J'ai blasphémé !… si j'étais à ta place, Doña Sol, j'en aurais assez ; je serais lasse De ce fou furieux, de ce sombre insensé Qui ne sait caresser qu'après qu'il a blessé ! Je lui dirais : Va-t-en ! Repousse-moi, repousse ! Et je te bénirai, car tu fus bonne et douce, Car tu m'as supporté trop longtemps, car je suis Mauvais, je noircirais tes jours avec mes nuits ! Car c'en est trop, enfin, ton âme est belle et haute Et pure, et si je suis méchant, est-ce ta faute ? Epouse le vieux duc ! Il est bon, noble, il a Par sa mère Olmedo, par son père Alcala. Encore un coup, sois riche avec lui, sois heureuse ! Moi, sais-tu ce que peut cette main généreuse T'offrir de magnifique ? une dot de douleurs. Tu pourras y choisir ou du sang ou des pleurs. L'exil, les fers, la mort, l'effroi qui m'environne, C'est là ton collier d'or, c'est ta belle couronne, Et jamais à l'épouse un époux plein d'orgueil N'offrit plus riche écrin de misère et de deuil. Epouse le vieillard, te dis-je ; il te mérite ! Eh ! qui jamais croira que ma tête proscrite Aille avec ton front pur ? qui, nous voyant tous deux, Toi, calme et belle, moi, violent, hasardeux, Toi, paisible et croissant comme une fleur à l'ombre, Moi, heurté dans l'orage à des écueils sans nombre, Qui dira que nos sorts suivent la même loi ? Non. Dieu qui fait tout bien ne te fit pas pour moi. Je n'ai nul droit d'en haut sur toi, je me résigne ! J'ai ton cœur, c'est un vol ! je le rends au plus digne. Jamais à nos amours le ciel n'a consenti. Si j'ai dit que c'était ton destin, j'ai menti ! D'ailleurs, vengeance, amour, adieu ! mon jour s'achève. Je m'en vais, inutile, avec mon double rêve, Honteux de n'avoir pu ni punir, ni charmer, Qu'on m'ait fait pour haïr, moi qui n'ai su qu'aimer ! Pardonne-moi ! fuis-moi ! ce sont mes deux prières. Ne les rejette pas, car ce sont les dernières ! Tu vis, et je suis mort. Je ne vois pas pourquoi Tu te ferais murer dans ma tombe avec moi !

DOÑA SOL
Ingrat !

HERNANI
Monts d'Aragon ! Galice ! Estramadoure ! Oh ! je porte malheur à tout ce qui m'entoure ! J'ai pris vos meilleurs fils ; pour mes droits, sans remords, Je les ai fait combattre, et voilà qu'ils sont morts ! C'étaient les plus vaillants de la vaillante Espagne ! Ils sont morts ! ils sont tous tombés dans la montagne, Tous sur le dos couchés, en justes, devant Dieu, Et s'ils ouvraient les yeux, ils verraient le ciel bleu ! Voilà ce que je fais de tout ce qui m'épouse ! Est-ce une destinée à te rendre jalouse ? Dona Sol, prends le duc, prends l'enfer, prends le roi ! C'est bien. Tout ce qui n'est pas moi vaut mieux que moi ! Je n'ai plus un ami qui de moi se souvienne, Tout me quitte, il est temps qu'à la fin ton tour vienne, Car je dois être seul. Fuis ma contagion. Ne te fais pas d'aimer une religion ! Oh ! par pitié pour toi, fuis ! Tu me crois peut-être Un homme comme sont tous les autres, un être Intelligent, qui court droit au but qu'il rêva. Détrompe-toi ! je suis une force qui va ! Agent aveugle et sourd de mystères funèbres ! Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! Où vais-je ? je ne sais. Mais je me sens poussé D'un souffle impétueux, d'un destin insensé. Je descends, je descends, et jamais ne m'arrête. Si parfois, haletant, j'ose tourner la tête, Une voix me dit : Marche ! et l'abîme et profond, Et de flamme et de sang je le vois rouge au fond ! Cependant, à l'entour de ma course farouche, Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche ! Oh ! fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal. Hélas ! sans le vouloir, je te ferais du mal !

DOÑA SOL
Grand Dieu !

HERNANI
C'est un démon redoutable, te dis-je, Que le mien. Mon bonheur, voilà le seul prodige Qui lui soit impossible. Et toi, c'est le bonheur ! Tu n'es donc pas pour moi, cherche un autre seigneur ! Va, si jamais le ciel à mon sort qu'il renie Souriait… n'y crois pas ! ce serait ironie. Epouse le duc !

DOÑA SOL
Donc ce n'était pas assez ! Vous aviez déchiré mon cœur, vous le brisez ! Ah ! Vous ne m'aimez plus !

HERNANI
Oh ! Mon cœur et mon âme C'est toi ! L'ardent foyer d'où me vient toute flamme, C'est toi ! Ne m'en veux pas de fuir, être adoré !…

DOÑA SOL
Je ne vous en veux pas, seulement j'en mourrai.

HERNANI
Mourir ! pour qui ? Pour moi ? se peut-il que tu meures Pour si peu ?

DOÑA SOL(pleurant et tombant dans un fauteuil.)
Voilà tout.

HERNANI(s'asseyant près d'elle.)
Oh ! Tu pleures ! Tu pleures ! Et c'est encor ma faute ! Et qui me punira ? Car tu pardonneras encor ! Qui te dira Ce que je souffre au moins, lorsqu'une larme noie La flamme de tes yeux, dont l'éclair est ma joie ! Oh ! Mes amis sont morts ! Oh ! Je suis insensé ! Pardonne ! Je voudrais aimer, je ne le sai. Hélas ! J'aime pourtant d'une amour bien profonde ! Ne pleure pas ; mourons plutôt ! Que n'ai-je un monde ! Je te le donnerais ! Je suis bien malheureux !

DOÑA SOL(se jetant à son cou.)
Vous êtes mon lion, superbe et généreux ! Je vous aime.

HERNANI
Ah ! L'amour serait un bien suprême Si l'on pouvait mourir de trop aimer !

DOÑA SOL
Je t'aime ! Monseigneur ! Je vous aime, et je suis toute à vous.
(Hernani laisse tomber sa tête sur son épaule.)

HERNANI
Oh ! Qu'un coup de poignard de toi me serait doux !

DOÑA SOL(suppliante.)
Ah ! Ne craignez-vous pas que Dieu ne vous punisse De parler de la sorte ?

HERNANI
Eh bien ! Qu'il nous unisse, Tu le veux !… qu'il en soit ainsi ! J'ai résisté !
(Tous deux dans les bras l'un de l'autre se regardent avec extase, sans voir, sans entendre, et comme absorbés dans leurs regards. Don Ruy Gomez entre, et s'arrête comme pétrifié sur le seuil.)

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