ACTE I - Scène II



(DOÑA JOSE FADUARTE, DON CARLOS CACHÉ; DOÑA SOL, PUIS HERNANI.)

DOÑA SOL
Josefa !

DOÑA JOSEPHA
Madame ?

DOÑA SOL
Ah ! je crains quelque malheur. Hernani devrait être ici.(Bruit de pas à la petite porte.)
Voici qu'il monte. Ouvre avant qu'il ne frappe, et fais vite, et sois prompte.
(Josefa ouvre la petite porte. Entre Hernani. Grand manteau, grand chapeau. Dessous, un costumede montagnard d'Aragon, gris, avec une cuirasse de cuir, une épée, un poignard, et un cor à la ceinture.)

DOÑA SOL(courant à lui.)
Hernani !

HERNANI
Doña Sol ! Ah ! c'est vous que je vois Enfin ! et cette voix qui parle est votre voix ! Pourquoi le sort mit-il mes jours si loin des vôtres ? J'ai tant besoin de vous pour oublier les autres !

DOÑA SOL(touchant ses vêtements.)
Jésus ! Votre manteau ruisselle. Il pleut donc bien ?

HERNANI
Je ne sais.

DOÑA SOL
Vous devez avoir froid ?

HERNANI
Ce n'est rien.

DOÑA SOL
Ôtez donc ce manteau.

HERNANI
Doña Sol, mon amie, Dites-moi, quand la nuit vous êtes endormie, Calme, innocente et pure, et qu'un sommeil joyeux Entr'ouvre votre bouche et du doigt clôt vos yeux, Un ange vous dit-il combien vous êtes douce Au malheureux que tout abandonne et repousse ?

DOÑA SOL
Ami, vous avez bien tardé ! Mais dites-moi Si vous avez froid.

HERNANI
Moi ? Je brûle près de toi. Ah ! Quand l'amour jaloux bouillonne dans nos têtes, Quand notre cœur se gonfle et s'emplit de tempêtes, Qu'importe ce que peut un nuage des airs Nous jeter en passant de tempête et d'éclairs ?

DOÑA SOL(lui défaisant son manteau.)
Allons ! Donnez la cape et l'épée avec elle !

HERNANI(la main sur son épée.)
Non. C'est mon autre amie, innocente et fidèle ! Doña Sol, le vieux duc, votre futur époux, Votre oncle est donc absent ?

DOÑA SOL
Oui, cette heure est à nous.

HERNANI
Cette heure ! Et voilà tout. Pour nous, plus rien qu'une heure, Après, qu'importe ? Il faut qu'on oublie ou qu'on meure. Ange ! Une heure avec vous ! Une heure, en vérité, À qui voudrait la vie, et puis l'éternité !

DOÑA SOL
Hernani.

HERNANI(amèrement.)
Que je suis heureux que le duc sorte ! Comme un larron qui tremble et qui force une porte, Vite, j'entre, et vous vois, et dérobe au vieillard Une heure de vos chants et de votre regard, Et je suis bien heureux, et sans doute on m'envie De lui voler une heure ; et lui me prend ma vie !

DOÑA SOL
Calmez-vous.(Remettant le manteau à la duègne.)
Josefa, fais sécher son manteau.(Josefa sort. Elle s'assied et fait signe à Hernani de venir près d'elle.)
Venez là.

HERNANI(sans l'entendre.)
Donc le duc est absent du château ?

DOÑA SOL(souriant.)
Comme vous êtes grand !

HERNANI
Il est absent.

DOÑA SOL
Chère âme, Ne pensons plus au duc.

HERNANI
Ah ! Pensons-y, madame ! Ce vieillard ! Il vous aime, il va vous épouser ! Quoi donc ! Vous prit-il pas l'autre jour un baiser ? N'y plus penser !

DOÑA SOL(riant.)
C'est là ce qui vous désespère ! Un baiser d'oncle ! Au front ! Presque un baiser de père !

HERNANI
Non ; un baiser d'amant, de mari, de jaloux. Ah ! Vous serez à lui ! Madame. Y pensez-vous ? Ô l'insensé vieillard, qui, la tête inclinée, Pour achever sa route et finir sa journée, A besoin d'une femme, et va, spectre glacé, Prendre une jeune fille ! ô vieillard insensé ! Pendant que d'une main il s'attache à la vôtre, Ne voit-il pas la mort qui l'épouse de l'autre ? Il vient dans nos amours se jeter sans frayeur ! Vieillard, va-t'en donner mesure au fossoyeur ! Qui fait ce mariage ? On vous force, j'espère !

DOÑA SOL
Le roi, dit-on, le veut.

HERNANI
Le roi ! Le roi ! Mon père Est mort sur l'échafaud, condamné par le sien. Or, quoiqu'on ait vieilli depuis ce fait ancien, Pour l'ombre du feu roi, pour son fils, pour sa veuve, Pour tous les siens, ma haine est encor toute neuve ! Lui, mort, ne compte plus. Et tout enfant, je fis Le serment de venger mon père sur son fils. Je te cherchais partout, Carlos, roi des Castilles ! Car la haine est vivace entre nos deux familles. Les pères ont lutté sans pitié, sans remords, Trente ans ! Or c'est en vain que les pères sont morts, La haine vit. Pour eux la paix n'est point venue, Car les fils sont debout, et le duel continue. Ah ! C'est donc toi qui veux cet exécrable hymen ! Tant mieux. Je te cherchais, tu viens dans mon chemin !

DOÑA SOL
Vous m'effrayez.

HERNANI
Chargé d'un mandat d'anathème, Il faut que j'en arrive à m'effrayer moi-même ! Écoutez. L'homme auquel, jeune, on vous destina, Ruy de Silva, votre oncle, est duc de Pastrana, Riche-homme d'Aragon, comte et grand de Castille. À défaut de jeunesse, il peut, ô jeune fille, Vous apporter tant d'or, de bijoux, de joyaux, Que votre front reluise entre des fronts royaux ; Et pour le rang, l'orgueil, la gloire et la richesse, Mainte reine peut-être enviera sa duchesse ! Voilà donc ce qu'il est. Moi, je suis pauvre, et n'eus Tout enfant, que les bois où je fuyais pieds nus. Peut-être aurais-je aussi quelque blason illustre Qu'une rouille de sang à cette heure délustre ; Peut-être ai-je des droits, dans l'ombre ensevelis, Qu'un drap d'échafaud noir cache encor sous ses plis, Et qui, si mon attente un jour n'est pas trompée, Pourront de ce fourreau sortir avec l'épée. En attendant, je n'ai reçu du ciel jaloux Que l'air, le jour et l'eau, la dot qu'il donne à tous. Or du duc ou de moi souffrez qu'on vous délivre, Il faut choisir des deux, l'épouser, ou me suivre.

DOÑA SOL
Je vous suivrai.

HERNANI
Parmi mes rudes compagnons ? Proscrits dont le bourreau sait d'avance les noms, Gens dont jamais le fer ni le cœur ne s'émousse, Ayant tous quelque sang à venger qui les pousse ? Vous viendrez commander ma bande, comme on dit ? Car, vous ne savez pas, moi, je suis un bandit ! Quand tout me poursuivait dans toutes les Espagnes : Seule, dans ses forêts, dans ses hautes montagnes, Dans ses rocs où l'on n'est que de l'aigle aperçu, La vieille Catalogne en mère m'a reçu. Parmi ses montagnards, libres, pauvres et graves, Je grandis, et demain, trois mille de ses braves, Si ma voix dans leurs monts fait résonner ce cor, Viendront… vous frissonnez, réfléchissez encor. Me suivre dans les bois, dans les monts, sur les grèves, Chez des hommes pareils aux démons de vos rêves ; Soupçonner tout, les yeux, les voix, les pas, le bruit, Dormir sur l'herbe, boire au torrent, et la nuit Entendre, en allaitant quelque enfant qui s'éveille, Les balles des mousquets siffler à votre oreille. Être errante avec moi, proscrite, et, s'il le faut, Me suivre où je suivrai mon père, — à l'échafaud.

DOÑA SOL
Je vous suivrai.

HERNANI
Le duc est riche, grand, prospère. Le duc n'a pas de tache au vieux nom de son père. Le duc peut tout. Le duc vous offre avec sa main Trésors, titres, bonheur…

DOÑA SOL
Nous partirons demain. Hernani, n'allez pas sur mon audace étrange Me blâmer. Êtes-vous mon démon ou mon ange ? Je ne sais, mais je suis votre esclave. Écoutez, Allez où vous voudrez, j'irai. Restez, partez, Je suis à vous. Pourquoi fais-je ainsi ? Je l'ignore. J'ai besoin de vous voir, et de vous voir encore, Et de vous voir toujours. Quand le bruit de vos pas S'efface, alors je crois que mon cœur ne bat pas ; Vous me manquez, je suis absente de moi-même ; Mais dès qu'enfin ce pas que j'attends et que j'aime Vient frapper mon oreille, alors il me souvient Que je vis, et je sens mon âme qui revient !

HERNANI(la serrant dans ses bras.)
Ange !

DOÑA SOL
À minuit. Demain. Amenez votre escorte. Sous ma fenêtre. Allez, je serai brave et forte. Vous frapperez trois coups.

HERNANI
Savez-vous qui je suis, Maintenant ?

DOÑA SOL
Monseigneur, qu'importe ! Je vous suis.

HERNANI
Non, puisque vous voulez me suivre, faible femme, Il faut que vous sachiez quel nom, quel rang, quelle âme, Quel destin est caché dans le pâtre Hernani. Vous vouliez d'un brigand, voulez-vous d'un banni ?

DON CARLOS(ouvrant avec fracas la porte de l'armoire.)
Quand aurez-vous fini de conter votre histoire ? Croyez-vous donc qu'on soit si bien dans une armoire ?
(Hernani recule étonné. Doña Sol pousse un cri et se réfugie dans ses bras, en fixant sur don Carlos des yeux effarés.)

HERNANI(la main sur la garde de son épée.)
Quel est cet homme?

DOÑA SOL
Ô ciel ! Au secours !

HERNANI
Taisez-vous, Doña Sol ! Vous donnez l'éveil aux yeux jaloux. Quand je suis près de vous, veuillez, quoi qu'il advienne, Ne réclamer jamais d'autre aide que la mienne.(À don Carlos.)
Que faisiez-vous là ?

DON CARLOS
Moi ? Mais, à ce qu'il paraît, Je ne chevauchais pas à travers la forêt.

HERNANI
Qui raille après l'affront s'expose à faire rire Aussi son héritier !

DON CARLOS
Chacun son tour, messire ! Parlons franc. Vous aimez madame et ses yeux noirs, Vous y venez mirer les vôtres tous les soirs, C'est fort bien. J'aime aussi madame, et veux connaître Qui j'ai vu tant de fois entrer par la fenêtre, Tandis que je restais à la porte.

HERNANI
En honneur, Je vous ferai sortir par où j'entre, seigneur.

DON CARLOS
Nous verrons. J'offre donc mon amour à madame. Partageons, voulez-vous ? J'ai vu dans sa belle âme Tant d'amour, de bonté, de tendres sentiments, Que madame, à coup sûr, en a pour deux amants. Or, ce soir, voulant mettre à fin mon entreprise, Pris, je pense, pour vous, j'entre ici par surprise ; Je me cache, j'écoute, à ne vous celer rien ; Mais j'entendais très mal et j'étouffais très bien ; Et puis je chiffonnais ma veste à la française. Ma foi, je sors !

HERNANI
Ma dague aussi n'est pas à l'aise, Et veut sortir.

DON CARLOS(le saluant.)
Monsieur, c'est comme il vous plaira.

HERNANI(tirant son épée.)
En garde !
(Don Carlos tire son épée.)

DOÑA SOL(se jetant entre eux.)
Hernani ! Ciel !

DON CARLOS
Calmez-vous, señora.

HERNANI
Dites-moi votre nom.

DON CARLOS
Hé ! Dites-moi le vôtre !

HERNANI
Je le garde, secret et fatal, pour un autre Qui doit un jour sentir, sous mon genou vainqueur, Mon nom à son oreille, et ma dague à son cœur !

DON CARLOS
Alors, quel est le nom de l'autre ?

HERNANI
Que t'importe ? En garde ! Défends-toi !
(Ils croisent leurs épées. Doña Sol tombe tremblante sur un fauteuil. On entend des coups à la porte.)

DOÑA SOL(se levant avec effroi.)
Ciel ! On frappe à la porte !
(Les champions s'arrêtent, entre Josefa par la petite porte et tout effarée.)

HERNANI(à Josefa.)
Qui frappe ainsi ?

DOÑA JOSEPHA(à doña Sol.)
Madame ! Un coup inattendu ! C'est le duc qui revient !

DOÑA SOL
Le duc ! Tout est perdu ! Malheureuse !

DOÑA JOSEPHA(jetant les yeux autour d'elle.)
Mon dieu ! L'inconnu ! Des épées ! On se battait. Voilà de belles équipées !
(Les deux combattants remettent leurs épées dans le fourreau, don Carlos s'enveloppe de son manteau et rabat son chapeau sur ses yeux. On frappe de nouveau.)

HERNANI
Que faire ?
(On frappe.)

UNE VOIX(en dehors.)
Doña Sol, ouvrez-moi !
(Doña Josefa fait un pas vers la porte, Hernani l'arrête.)

HERNANI
N'ouvrez pas.

DOÑA JOSEPHA(tirant son chapelet.)
Saint Jacques monseigneur ! Tirez-nous de ce pas !
(On frappe de nouveau.)

HERNANI(montrant l'armoire à don Carlos.)
Cachons-nous.

DON CARLOS
Dans l'armoire ?

HERNANI
Entrez-y, je m'en charge. Nous y tiendrons tous deux.

DON CARLOS
Grand merci, c'est trop large.

HERNANI(montrant la petite porte.)
Fuyons par là.

DON CARLOS
Bonsoir. Pour moi, je reste ici.

HERNANI
Ah ! Tête et sang ! Monsieur, vous me paierez ceci !(À doña Sol.)
Si je barricadais l'entrée?

DON CARLOS(à Josefa.)
Ouvrez la porte.

HERNANI
Que dit-il ?

DON CARLOS(à Josefa interdite.)
Ouvrez donc, vous dis-je !
(On frappe toujours. Doña Josefa va ouvrir en tremblant.)

DOÑA SOL
Je suis morte !

Autres textes de Victor Hugo

Les Misérables - Tome I : Fantine

Le Tome 1 de "Les Misérables", intitulé "Fantine", se concentre sur plusieurs personnages clés et thèmes qui posent les fondements du récit épique de Victor Hugo. Le livre s'ouvre sur...

Les Contemplations - Au bord de l'infini

J’avais devant les yeux les ténèbres. L’abîmeQui n’a pas de rivage et qui n’a pas de cimeÉtait là, morne, immense ; et rien n’y remuait.Je me sentais perdu dans l’infini...

Les Contemplations - En marche

Et toi, son frère, sois le frère de mes fils.Cœur fier, qui du destin relèves les défis,Suis à côté de moi la voie inexorable.Que ta mère au front gris soit...

Les Contemplations - Pauca Meae

Pure innocence ! Vertu sainte !Ô les deux sommets d’ici-bas !Où croissent, sans ombre et sans crainte,Les deux palmes des deux combats !Palme du combat Ignorance !Palme du combat Vérité...

Les Contemplations - Les luttes et les rêves

Un soir, dans le chemin je vis passer un hommeVêtu d’un grand manteau comme un consul de Rome,Et qui me semblait noir sur la clarté des cieux.Ce passant s’arrêta, fixant...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024