ACTE II - Scène IV



(HERNANI, DOÑA SOL.)

DOÑA SOL(saisissant la main d'Hernani.)
Maintenant, fuyons vite.

HERNANI(la repoussant avec une douceur grave.)
Il vous sied, mon amie, D'être dans mon malheur toujours plus raffermie, De n'y point renoncer, et de vouloir toujours Jusqu'au fond, jusqu'au bout, accompagner mes jours. C'est un noble dessein, digne d'un cœur fidèle ! Mais, tu le vois, mon dieu, pour tant accepter d'elle, Pour l'entraîner, sans honte encore et sans regrets, Il n'est plus temps ! Je vois l'échafaud de trop près !

DOÑA SOL
Que dites-vous ?

HERNANI
Ce roi que je bravais en face, Va me punir d'avoir osé lui faire grâce. Il fuit ; déjà peut-être il est dans son palais ; Il appelle ses gens, ses gardes, ses valets, Ses seigneurs, ses bourreaux…

DOÑA SOL
Hernani ! Dieu ! Je tremble ! Eh bien ! Hâtons-nous donc alors, fuyons ensemble !

HERNANI
Ensemble! Non, non ; l'heure en est passée ! Hélas ! Doña Sol, à mes yeux quand tu te révélas, Bonne, et daignant m'aimer d'un amour secourable, J'ai bien pu vous offrir, moi, pauvre misérable, Ma montagne, mon bois, mon torrent ; — ta pitié M'enhardissait, — mon pain de proscrit, la moitié Du lit vert et touffu que la forêt me donne ; Mais t'offrir la moitié de l'échafaud ! Pardonne, Doña Sol ! L'échafaud, — c'est à moi seul !

DOÑA SOL
Pourtant Vous me l'aviez promis !

HERNANI(tombant à ses genoux.)
Ange ! Ah ! Dans cet instant Où la mort vient peut-être, où s'approche dans l'ombre Un sombre dénouement pour un destin bien sombre, Je le déclare ici, proscrit, traînant au flanc Un souci profond, né dans un berceau sanglant, Si noir que soit le deuil qui s'épand sur ma vie, Je suis un homme heureux et je veux qu'on m'envie ! Car vous m'avez aimé ! Car vous me l'avez dit ! Car vous avez tout bas béni mon front maudit.

DOÑA SOL
Hernani !

HERNANI
Loué soit le sort doux et propice Qui me mit cette fleur au bord du précipice !(Il se relève.)
Et ce n'est pas pour vous que je parle en ce lieu, Je parle pour le ciel qui m'écoute, et pour Dieu.

DOÑA SOL
Souffre que je te suive.

HERNANI
Ah ! Ce serait un crime Que d'arracher la fleur en tombant dans l'abîme ! Va ; j'en ai respiré le parfum ! C'est assez ! Renoue à d'autres jours tes jours par moi froissés ! Épouse ce vieillard ! C'est moi qui te délie ; Je rentre dans ma nuit. Toi, sois heureuse, oublie !

DOÑA SOL
Non, je te suis, je veux ma part de ton linceul ! Je m'attache à tes pas.

HERNANI(la serrant dans ses bras.)
Oh ! Laisse-moi fuir seul.
(Il la quitte avec un mouvement convulsif.)

DOÑA SOL(douloureusement et joignant les mains.)
Hernani ! Tu me fuis. — Ainsi donc, insensée, Avoir donné sa vie et se voir repoussée ! Et n'avoir, après tant d'amour et tant d'ennui, Pas même le bonheur de mourir près de lui !

HERNANI(hésitant.)
Je suis banni, je suis proscrit! Je suis funeste!

DOÑA SOL
Ah ! Vous êtes ingrat !

HERNANI(revenant sur ses pas.)
Eh bien! Non, non, je reste. Tu le veux ; me voici. Viens ! Oh viens dans mes bras ! Je reste et resterai tant que tu le voudras ! Oublions-les : restons. Sieds-toi sur cette pierre.(Il se place à ses pieds.)
Des flammes de tes yeux inonde ma paupière : Chante-moi quelque chant comme parfois le soir Tu m'en chantais, avec des pleurs dans ton œil noir. Soyons heureux ! buvons, car la coupe est remplie, Car cette heure est à nous et le reste est folie. Parle-moi ! Ravis-moi. N'est-ce pas qu'il est doux D'aimer et de sentir qu'on vous aime à genoux ? D'être deux? D'être seuls? Et que c'est douce chose De se parler d'amour, la nuit quand tout repose ? Oh! Laisse-moi dormir et rêver sur ton sein, Doña Sol ! Mon amour ! ma beauté !
(Bruit de cloches au loin.)

DOÑA SOL(se levant.)
Le tocsin ! Entends-tu ? Le tocsin !

HERNANI(toujours assis à ses genoux.)
Eh ! Non, c'est notre noce Qu'on sonne.
(Le bruit de cloches augmente. Cris confus, flambeaux et lumières à toutes les fenêtres, sur tous les toits, dans toutes les rues.)

DOÑA SOL
Lève-toi ! Fuis ! Grand Dieu ! Saragosse S'allume !

HERNANI(se soulevant à demi.)
Nous aurons une noce aux flambeaux !

DOÑA SOL
C'est la noce des morts ! La noce des tombeaux !
(Bruit d'épées, cris.)

HERNANI(se recouchant sur le banc de pierre.)
Rendormons-nous !

LE MONTAGNARD(l'épée à la main, accourant.)
Seigneur ! Les sbires, les alcades Débouchent dans la place en longues cavalcades ! Alerte, monseigneur !
(Hernani se lève.)

DOÑA SOL(pâle.)
Ah ! Tu l'avais bien dit.

LE MONTAGNARD
Au secours !

HERNANI(au montagnard.)
Me voici. C'est bien.

CRIS CONFUS(au dehors.)
Mort au bandit !

HERNANI(au montagnard.)
Ton épée.(À doña Sol.)
Adieu donc !

DOÑA SOL
C'est moi qui fais ta perte ! Où vas-tu ?(Lui montrant la petite porte.)
Viens, fuyons par cette porte ouverte !

HERNANI
Dieu ! Laisser mes amis ! Que dis-tu ?
(Tumulte et cris.)

DOÑA SOL
Ces clameurs Me brisent.(Retenant Hernani.)
Souviens-toi que si tu meurs, je meurs !

HERNANI(la tenant embrassée.)
Un baiser !

DOÑA SOL
Mon époux ! mon Hernani ! mon maître !

HERNANI(la baisant sur le front.)
Hélas ! C'est le premier !

DOÑA SOL
C'est le dernier peut-être.
(Il part ; elle tombe sur le banc.)

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