ACTE II - Scène III



(DON CARLOS, DOÑA SOL, HERNANI.)

HERNANI(immobile, ses yeux étincelants fixés sur le roi.)
Ah ! Le ciel m'est témoin Que volontiers je l'eusse été chercher plus loin !

DOÑA SOL
Hernani ! Sauvez-moi de lui !

HERNANI
Soyez tranquille, Mon amour !

DON CARLOS
Que font donc mes amis par la ville ? Avoir laissé passer ce chef de bohémiens !(Appelant.)
Monterey !

HERNANI
Vos amis sont au pouvoir des miens. Et ne réclamez pas leur épée impuissante : Pour trois qui vous viendraient, il m'en viendrait soixante. Soixante dont un seul vous vaut tous quatre. Ainsi, Vidons entre nous deux notre querelle ici. Quoi ! Vous portiez la main sur cette noble fille ! C'était d'un imprudent, seigneur roi de Castille, Et d'un lâche !

DON CARLOS(souriant avec dédain.)
Seigneur bandit, de vous à moi Pas de reproche !

HERNANI
Il raille ! Oh ! Je ne suis pas roi ; Mais quand un roi m'insulte et pour surcroît me raille, Ma colère va haut et me monte à sa taille ! Et prenez garde ! On craint, lorsqu'on me fait affront, Plus qu'un cimier de roi la rougeur de mon front ! Vous êtes insensé si quelque espoir vous leurre.(Il lui saisit le bras.)
Savez-vous quelle main vous étreint à cette heure ? Écoutez : votre père a fait mourir le mien, Je vous hais. Vous avez pris mon titre et mon bien, Je vous hais. Nous aimons tous deux la même femme, Je vous hais, je vous hais ; oui, je te hais dans l'âme.

DON CARLOS
C'est bien.

HERNANI
Ce soir pourtant, toute haine avait fui ! Tout ce que je cherchais, c'est elle… ah dieu ! c'est lui ! Don Carlos, te voilà pris à ton propre piège, Ni fuite ni secours : je te tiens et t'assiège ! Seul, entouré partout d'ennemis acharnés, Que vas-tu faire ?

DON CARLOS(fièrement.)
Allons ! Vous me questionnez !

HERNANI
Va, va, je ne veux pas qu'un bras obscur te frappe. Il ne sied pas qu'ainsi ma vengeance m'échappe. Tu ne seras touché par un autre que moi. Défends-toi donc.
(Il tire son épée.)

DON CARLOS
Je suis votre seigneur le roi. Frappez : mais pas de duel.

HERNANI
Seigneur, qu'il te souvienne Qu'hier encor ta dague a rencontré la mienne.

DON CARLOS
Je le pouvais hier. J'ignorais votre nom, Vous ignoriez mon titre. Aujourd'hui, compagnon, Vous savez qui je suis et je sais qui vous êtes.

HERNANI
Peut-être.

DON CARLOS
Pas de duel. Assassinez-moi : faites !

HERNANI
Crois-tu donc que pour nous il soit des noms sacrés ? Ah, te défendras-tu ?

DON CARLOS
Vous m'assassinerez !(Hernani recule. Don Carlos fixe des yeux d'aigle sur lui.)
Ah ! Vous croyez, bandits, que vos brigades viles Pourrons impunément s'épandre dans mes villes ? Que teint de sangs, chargés de meurtres, malheureux ! Vous pourrez, après tout, faire les généreux ! Et que nous daignerons, nous, victimes trompées, Anoblir vos poignards du choc de nos épées ? Non, Le crime vous tient. Partout vous le traînez. Nous, des duels avec vous ! arrière ! assassinez.
(Hernani, sombre et pensif, tourmente quelques instants de la main la poignée de son épée, puis se retourne brusquement vers le roi, et brise la lame sur le pavé.)

HERNANI
Va-t'en donc.(Le roi se tourne à demi vers lui et le regarde avec hauteur.)
Nous aurons des rencontres meilleures. Va-t'en.

DON CARLOS
C'est bien, monsieur. Je vais dans quelques heures Je serai, moi le roi, dans le palais ducal. Mon premier soin sera de mander le fiscal. A-t-on fait mettre à prix votre tête ?

HERNANI
Oui.

DON CARLOS
Mon maître, Je vous tiens de ce jour sujet rebelle et traître. Je vous en avertis. Partout je vous poursuis, Je vous fais mettre au ban du royaume.

HERNANI
J'y suis Déjà.

DON CARLOS
Bien !

HERNANI
Mais la France est auprès de l'Espagne, C'est un port.

DON CARLOS
Je vais être empereur d'Allemagne. Je vous fais mettre au ban de l'empire.

HERNANI
À ton gré. J'ai le reste du monde, où je te braverai. Il est plus d'un asile où ta puissance tombe.

DON CARLOS
Et quand j'aurai le monde ?

HERNANI
Alors j'aurai la tombe.

DON CARLOS
Je saurai déjouer vos complots insolents.

HERNANI
La vengeance est boiteuse, elle vient à pas lents, Mais elle vient.

DON CARLOS(riant avec dédain.)
Toucher à la dame qu'adore Ce bandit !

HERNANI(dont les yeux s'allument.)
Songes-tu que je te tiens encore ? Ne me rappelle pas, futur César romain, Que je t'ai là, chétif et petit dans ma main, Et que si je serrais cette main trop loyale, J'écraserais dans l'œuf ton aigle impériale !

DON CARLOS
Faites.

HERNANI
Va-t'en, va-t'en ;(Il ôte son manteau et le jette sur les épaules du roi.)
Fuis, et prends ce manteau ; Car, dans nos rangs, pour toi, je crains quelque couteau.(Le roi s'enveloppe du manteau.)
Pars tranquille à présent. Ma vengeance altérée Pour tout autre que moi fait ta tête sacrée.

DON CARLOS
Monsieur, vous qui venez de me parler ainsi, Ne demandez un jour ni grâce, ni merci.

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