ACTE IV - Scène III



(Les conjurés. Ils vont les uns aux autres, en se prenant la main, et en échangeant quelques parolesà voix basse.)

DEUXIÈME CONJURÉ
Qui vive ?

PREMIER CONJURÉ(portant une torche allumée.)
Ad augusta.

DEUXIÈME CONJURÉ
Per angusta.

PREMIER CONJURÉ
Les saints Nous protègent !

TROISIÈME CONJURÉ
Les morts nous servent !

PREMIER CONJURÉ
Dieu nous garde !
(Bruit de pas dans l'ombre.)

DEUXIÈME CONJURÉ
Qui vive ?

VOIX DANS L'OMBRE
Ad augusta.

DEUXIÈME CONJURÉ
Per angusta.
(Nouveaux conjurés. Bruit de pas.)

PREMIER CONJURÉ(au troisième.)
Regarde. Il vient encor quelqu'un.

TROISIÈME CONJURÉ
Qui vive ?

VOIX DANS L'OMBRE
Ad angusta.

TROISIÈME CONJURÉ
Per angusta.
(Entrent de nouveaux conjurés qui échangent des signes mystérieux avec les autres.)

PREMIER CONJURÉ
C'est bien, nous voilà tous. Gotha, Fais le rapport. Amis, l'ombre attend la lumière.
(Les conjurés s'asseyent en demi-cercle sur des tombeaux. Le premier conjuré passe tour à tour devant tous, et chacun allume à sa torche une cire qu'il tient à la main. Puis le premier conjuré vas'asseoir en silence sur une tombe au centre du cercle, et plus haute que les autres.)

LE DUC DE GOTHA(se levant.)
Amis, Charles D'Espagne, étranger par sa mère, Prétend au saint empire.

PREMIER CONJURÉ
Il aura le tombeau.

LE DUC DE GOTHA(jetant sa torche et l'écrasant du pied.)
Qu'il en soit de son front comme de ce flambeau !

TOUS
Que ce soit !

PREMIER CONJURÉ
Mort à lui.

LE DUC DE GOTHA
Qu'il meure !

TOUS
Qu'on l'immole !

DON JUAN DE HARO
Son père est allemand.

LE DUC DE LUTZELBOURG
Sa mère est espagnole.

LE DUC DE GOTHA
Il n'est plus espagnol et n'est pas allemand. Mort !

DEUXIÈME CONJURÉ
Si les électeurs allaient en ce moment Le nommer empereur ?

PREMIER CONJURÉ
Lui ! Jamais !

DON GIL TELLEZ GIRON
Dans la tombe, Amis, jetons la tête, et la couronne y tombe.

PREMIER CONJURÉ
S'il a le saint empire, il devient, quel qu'il soit, Très auguste, et Dieu seul peut le toucher du doigt.

LE DUC DE GOTHA
Le plus sûr, c'est qu'avant d'être auguste, il expire !

PREMIER CONJURÉ
On ne l'élira point.

TOUS
Il n'aura pas l'empire.

PREMIER CONJURÉ
Combien faut-il de bras pour le mettre au linceul ?

TOUS
Un seul !

PREMIER CONJURÉ
Combien faut-il de coups au cœur ?

TOUS
Un seul.

PREMIER CONJURÉ
Qui frappera ?

TOUS
Nous tous.

PREMIER CONJURÉ
La victime est un traître. Ils font un empereur, nous, faisons un grand-prêtre. Tirons au sort.(Les conjurés écrivent leurs noms sur leurs tablettes, déchirent la feuille, la roulent et vont l'un après l'autre la jeter dans l'urne d'un tombeau, puis le premier conjuré dit :)
Prions.(Tous s'agenouillent ; le premier conjuré se lève.)
Que l'élu croie en Dieu ! Frappe comme un romain, meure comme un hébreu ! Il faut qu'il brave roue et tenailles mordantes, Qu'il chante aux chevalets, rie aux lampes ardentes, Enfin, que, pour tuer et mourir, résigné, Il fasse tout.
(Il tire un des parchemins de l'urne.)

TOUS
Quel nom ?

PREMIER CONJURÉ(à haute voix.)
Hernani !

HERNANI
(SORTANT DE LA FOULE DES CONJURÉS)
J'ai gagné ! Je te tiens, toi que j'ai si longtemps poursuivie, Vengeance !

DON RUY GOMEZ(prenant Hernani à part.)
Oh ! Cède-moi ce coup !

HERNANI
Non, sur ma vie ! Oh ! Ne m'enviez pas ma fortune, seigneur ! C'est la première fois qu'il m'arrive bonheur !

DON RUY GOMEZ
Tu n'as rien. Eh bien, tout, fiefs, châteaux, vasselages, Cent mille paysans dans mes trois cents villages, Pour ce coup à frapper, je te les donne, ami !

HERNANI
Non !

LE DUC DE GOTHA
Ton bras porterait un coup moins affermi, Vieillard !

DON RUY GOMEZ
Arrière, vous ! Sinon le bras, j'ai l'âme. Aux rouilles du fourreau ne jugez point la lame.(À Hernani.)
Tu m'appartiens !

HERNANI
Ma vie à vous, la sienne à moi.

DON RUY GOMEZ(tirant le cor de sa ceinture.)
Eh bien, écoute, ami : je te rends ce cor !

HERNANI
Quoi ! La vie ! — eh, que m'importe ! Ah ! Je tiens ma vengeance. Avec Dieu, dans ceci je suis d'intelligence ! J'ai mon père à venger… peut être plus encor ! — Elle, me la rends-tu ?

DON RUY GOMEZ
Jamais ! Je rends ce cor.

HERNANI
Non !

DON RUY GOMEZ
Réfléchis, enfant.

HERNANI
Duc ! Laisse-moi ma proie.

DON RUY GOMEZ
Eh bien ! Maudit sois-tu de m'ôter cette joie !
(Il remet le cor à sa ceinture.)

PREMIER CONJURÉ(à Hernani.)
Frère, avant qu'on ait pu l'élire, il serait bien D'attendre dès ce soir Carlos… Ne craignez rien ! Je sais comment on pousse un homme dans la tombe.

PREMIER CONJURÉ(il impose les mains à Hernani.)
Que toute trahison sur le traître retombe, Et Dieu soit avec vous ! Nous, comtes et barons, S'il périt sans tuer, continuons ! Jurons De frapper tour à tour et sans nous y soustraire, Carlos qui doit mourir.

TOUS(tirant leurs épées.)
Jurons !

LE DUC DE GOTHA(au premier conjuré.)
Sur quoi, mon frère ?

DON RUY GOMEZ(Il prend son épée par la pointe et l'élève au-dessus de sa tête.)
Jurons sur cette croix !

TOUS(élevant leurs épées.)
Qu'il meure impénitent !
(On entend un coup de canon éloigné. Tous s'arrêtent en silence. La porte du tombeau s'entr'ouvre. Don Carlos paraît sur le seuil. Pâle, il écoute. Un second coup. Un troisième. Il ouvre tout-à-fait le tombeau, mais sans faire un pas, debout et immobile sur le seuil. )

Autres textes de Victor Hugo

Les Misérables - Tome I : Fantine

Le Tome 1 de "Les Misérables", intitulé "Fantine", se concentre sur plusieurs personnages clés et thèmes qui posent les fondements du récit épique de Victor Hugo. Le livre s'ouvre sur...

Les Contemplations - Au bord de l'infini

J’avais devant les yeux les ténèbres. L’abîmeQui n’a pas de rivage et qui n’a pas de cimeÉtait là, morne, immense ; et rien n’y remuait.Je me sentais perdu dans l’infini...

Les Contemplations - En marche

Et toi, son frère, sois le frère de mes fils.Cœur fier, qui du destin relèves les défis,Suis à côté de moi la voie inexorable.Que ta mère au front gris soit...

Les Contemplations - Pauca Meae

Pure innocence ! Vertu sainte !Ô les deux sommets d’ici-bas !Où croissent, sans ombre et sans crainte,Les deux palmes des deux combats !Palme du combat Ignorance !Palme du combat Vérité...

Les Contemplations - Les luttes et les rêves

Un soir, dans le chemin je vis passer un hommeVêtu d’un grand manteau comme un consul de Rome,Et qui me semblait noir sur la clarté des cieux.Ce passant s’arrêta, fixant...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024