ACTE V - Scène première


Dymas
Seigneur, il est trop vrai que le peuple murmure,
Qu'il rejette sur vous sa funeste aventure,
Et que de tous côtés on n'entend que mutins
Qui vous nomment l'auteur de leurs mauvais destins.
D'un devin suborné les infâmes prestiges
De l'ombre, disent-ils, ont fait tous les prodiges :
L'or mouvait ce fantôme ; et pour perdre Dircé,
Vos présents lui dictaient ce qu'il a prononcé :
Tant ils conçoivent mal qu'un si grand roi consente
À venger son trépas sur sa race innocente,
Qu'il assure son sceptre, aux dépens de son sang,
À ce bras impuni qui lui perça le flanc,
Et que par cet injuste et cruel sacrifice,
Lui-même de sa mort il se fasse justice !

Œdipe
Ils ont quelque raison de tenir pour suspect
Tout ce qui s'est montré tantôt à leur aspect ;
Et je n'ose blâmer cette horreur que leur donne
L'assassin de leur roi qui porte sa couronne.
Moi-même, au fond du cœur, de même horreur frappé,
Je veux fuir le remords de son trône occupé ;
Et je dois cette grâce à l'amour de la reine,
D'épargner ma présence aux devoirs de sa haine,
Puisque de notre hymen les liens mal tissus
Par ces mêmes devoirs semblent être rompus.
Je vais donc à Corinthe achever mon supplice.
Mais ce n'est pas au peuple à se faire justice :
L'ordre que tient le ciel à lui choisir des rois
Ne lui permet jamais d'examiner son choix ;
Et le devoir aveugle y doit toujours souscrire,
Jusqu'à ce que d'en haut on veuille s'en dédire.
Pour chercher mon repos, je veux bien me bannir ;
Mais s'il me bannissait, je saurais l'en punir ;
Ou si je succombais sous sa troupe mutine,
Je saurais l'accabler du moins sous ma ruine.

Dymas
Seigneur, jusques ici ses plus grands déplaisirs
Pour armes contre vous n'ont pris que des soupirs ;
Et cet abattement que lui cause la peste
Ne souffre à son murmure aucun dessein funeste.
Mais il faut redouter que Thésée et Dircé
N'osent pousser plus loin ce qu'il a commencé.
Phorbas même est à craindre, et pourrait le réduire
Jusqu'à se vouloir mettre en état de vous nuire.

Œdipe
Thésée a trop de cœur pour une trahison ;
Et d'ailleurs j'ai promis de lui faire raison.
Pour Dircé, son orgueil dédaignera sans doute
L'appui tumultueux que ton zèle redoute.
Phorbas est plus à craindre, étant moins généreux ;
Mais il nous est aisé de nous assurer d'eux.
Fais-les venir tous trois, que je lise en leur âme
S'ils prêteraient la main à quelque sourde trame.
Commence par Phorbas : je saurai démêler
Quels desseins…

Page
Un vieillard demande à vous parler.
Il se dit de Corinthe, et presse.

Œdipe
Il vient me faire
Le funeste rapport du trépas de mon père :
Préparons nos soupirs à ce triste récit.
Qu'il entre… Cependant fais ce que je t'ai dit.

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