ACTE V - Scène VIII


Nérine
Madame…

Dircé
Que veux-tu, Nérine ?

Nérine
Hélas ! La reine…

Dircé
Que fait-elle ?

Nérine
Elle est morte ; et l'excès de sa peine,
Par un prompt désespoir…

Dircé
Jusques où portez-vous,
Impitoyables dieux, votre injuste courroux !

Thésée
Quoi ? Même aux yeux du roi son désespoir la tue ?
Ce monarque n'a pu…

Nérine
Le roi ne l'a point vue,
Et quant à son trépas, ses pressantes douleurs
L'ont cru devoir sur l'heure à de si grands malheurs.
Phorbas l'a commencé, sa main a fait le reste.

Dircé
Quoi ? Phorbas.

Nérine
Oui, Phorbas, par son récit funeste,
Et par son propre exemple, a su l'assassiner.
Ce malheureux vieillard n'a pu se pardonner ;
Il s'est jeté d'abord aux genoux de la reine,
Où, détestant l'effet de sa prudence vaine :
" si j'ai sauvé ce fils pour être votre époux,
Et voir le roi son père expirer sous ses coups,
A-t-il dit, la pitié qui me fît le ministre
De tout ce que le ciel eut pour vous de sinistre,
Fait place au désespoir d'avoir si mal servi,
Pour venger sur mon sang votre ordre mal suivi.
L'inceste où malgré vous tous deux je vous abîme
Recevra de ma main sa première victime :
J'en dois le sacrifice à l'innocente erreur
Qui vous rend l'un pour l'autre un objet plein d'horreur. "
Cet arrêt qu'à nos yeux lui-même il se prononce
Est suivi d'un poignard qu'en ses flancs il enfonce.
La reine, à ce malheur si peu prémédité,
Semble le recevoir avec stupidité.
L'excès de sa douleur la fait croire insensible ;
Rien n'échappe au dehors qui la rende visible ;
Et tous ses sentiments, enfermés dans son cœur,
Ramassent en secret leur dernière vigueur.
Nous autres cependant, autour d'elle rangées,
Stupides ainsi qu'elle, ainsi qu'elle affligées,
Nous n'osons rien permettre à nos fiers déplaisirs,
Et nos pleurs par respect attendent ses soupirs.
Mais enfin tout à coup, sans changer de visage,
Du mort qu'elle contemple elle imite la rage,
Se saisit du poignard, et de sa propre main
À nos yeux comme lui s'en traverse le sein.
On dirait que du ciel l'implacable colère
Nous arrête les bras pour lui laisser tout faire.
Elle tombe, elle expire avec ces derniers mots :
" allez dire à Dircé qu'elle vive en repos,
Que de ces lieux maudits en hâte elle s'exile ;
Athènes a pour elle un glorieux asile,
Si toutefois Thésée est assez généreux
Pour n'avoir point d'horreur d'un sang si malheureux. "

Thésée
Ah ! Ce doute m'outrage ; et si jamais vos charmes…

Dircé
Seigneur, il n'est saison que de verser des larmes.
La reine, en expirant, a donc pris soin de moi !
Mais tu ne me dis point ce qu'elle a dit du roi ?

Nérine
Son âme en s'envolant, jalouse de sa gloire,
Craignait d'en emporter la honteuse mémoire ;
Et n'osant le nommer son fils ni son époux,
Sa dernière tendresse a toute été pour vous.

Dircé
Et je puis vivre encore après l'avoir perdue !

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