ACTE IV - Scène III


Jocaste
Laissez-moi lui parler, et prêtez-nous silence.
Phorbas envisagez ce prince en ma présence :
Le reconnaissez-vous ?

Phorbas
Je crois vous avoir dit
Que je ne l'ai point vu depuis qu'on le perdit,
Madame : un si long temps laisse mal reconnaître
Un prince qui pour lors ne faisait que de naître ;
Et si je vois en lui l'effet de mon secours,
Je n'y puis voir les traits d'un enfant de deux jours.

Jocaste
Je sais, ainsi que vous, que les traits de l'enfance
N'ont avec ceux d'un homme aucune ressemblance ;
Mais comme ce héros, s'il est sorti de moi,
Doit avoir de sa main versé le sang du roi,
Seize ans n'ont pas changé tellement son visage
Que vous n'en conserviez quelque imparfaite image.

Phorbas
Hélas ! J'en garde encor si bien le souvenir,
Que je l'aurai présent durant tout l'avenir.
Si pour connaître un fils il vous faut cette marque,
Ce prince n'est point né de notre grand monarque.
Mais désabusez-vous, et sachez que sa mort
Ne fut jamais d'un fils le parricide effort.

Jocaste
Et de qui donc, Phorbas ? Avez-vous connaissance
Du nom du meurtrier ? Savez-vous sa naissance ?

Phorbas
Et de plus sa demeure et son rang. Est-ce assez ?

Jocaste
Je saurai le punir si vous le connaissez.
Pourrez-vous le convaincre ?

Phorbas
Et par sa propre bouche.

Jocaste
À nos yeux ?

Phorbas
À vos yeux. Mais peut-être il vous touche ;
Peut-être y prendrez-vous un peu trop d'intérêt,
Pour m'en croire aisément quand j'aurai dit qui c'est.

Thésée
Ne nous déguisez rien, parlez en assurance,
Que le fils de Laïus en hâte la vengeance.

Jocaste
Il n'est pas assuré, prince, que ce soit vous,
Comme il l'est que Laïus fut jadis mon époux ;
Et d'ailleurs si le ciel vous choisit pour victime,
Vous me devez laisser à punir ce grand crime.

Thésée
Avant que de mourir, un fils peut le venger.

Phorbas
Si vous l'êtes ou non, je ne le puis juger ;
Mais je sais que Thésée est si digne de l'être,
Qu'au seul nom qu'il en prend je l'accepte pour maître.
Seigneur, vengez un père, ou ne soutenez plus
Que nous voyons en vous le vrai sang de Laïus.

Jocaste
Phorbas nommez ce traître, et nous tirez de doute ;
Et j'atteste à vos yeux le ciel, qui nous écoute,
Que pour cet assassin il n'est point de tourments
Qui puissent satisfaire à mes ressentiments.

Phorbas
Mais si je vous nommais quelque personne chère,
Aemon votre neveu, Créon votre seul frère,
Ou le prince Lycus, ou le roi votre époux,
Me pourriez-vous en croire, ou garder ce courroux ?

Jocaste
De ceux que vous nommez je sais trop l'innocence.

Phorbas
Peut-être qu'un des quatre a fait plus qu'il ne pense ;
Et j'ai lieu de juger qu'un trop cuisant ennui…

Jocaste
Voici le roi qui vient : dites tout devant lui.

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