ACTE V - Scène IX


Cléante
La santé dans ces murs tout d'un coup répandue
Fait crier au miracle et bénir hautement
La bonté de nos dieux d'un si prompt changement.
Tous ces mourants, madame, à qui déjà la peste
Ne laissait qu'un soupir, qu'un seul moment de reste,
En cet heureux moment rappelés des abois,
Rendent grâces au ciel d'une commune voix ;
Et l'on ne comprend point quel remède il applique
À rétablir sitôt l'allégresse publique.

Dircé
Que m'importe qu'il montre un visage plus doux,
Quand il fait des malheurs qui ne sont que pour nous ?
Avez-vous vu le roi, Dymas ?

Dymas
Hélas, princesse !
On ne doit qu'à son sang la publique allégresse.
Ce n'est plus que pour lui qu'il faut verser des pleurs:
Ses crimes inconnus avoient fait nos malheurs;
Et sa vertu souillée à peine s'est punie,
Qu'aussitôt de ces lieux la peste s'est bannie.

Thésée
L'effort de son courage a su nous éblouir:
D'un si grand désespoir il cherchait à jouir,
Et de sa fermeté n'empruntait les miracles
Que pour mieux éviter toute sorte d'obstacles.

Dircé
Il s'est rendu par là maître de tout son sort.
Mais achève, Dymas, le récit de sa mort ;
Achève d'accabler une âme désolée.

Dymas
Il n'est point mort, madame ; et la sienne, ébranlée
Par les confus remords d'un innocent forfait,
Attend l'ordre des dieux pour sortir tout à fait.

Dircé
Que nous disais-tu donc ?

Dymas
Ce que j'ose encor dire,
Qu'il vit et ne vit plus, qu'il est mort et respire ;
Et que son sort douteux, qui seul reste à pleurer,
Des morts et des vivants semble le séparer.
J'étais auprès de lui sans aucunes alarmes;
Son cœur semblait calmé, je le voyais sans armes,
Quand soudain, attachant ses deux mains sur ses yeux :
" prévenons, a-t-il dit, l'injustice des dieux ;
Commençons à mourir avant qu'ils nous l'ordonnent ;
Qu'ainsi que mes forfaits mes supplices étonnent.
Ne voyons plus le ciel après sa cruauté:
Pour nous venger de lui dédaignons sa clarté;
Refusons-lui nos yeux, et gardons quelque vie
Qui montre encore à tous quelle est sa tyrannie. "
Là, ses yeux arrachés par ses barbares mains
Font distiller un sang qui rend l'âme aux Thébains.
Ce sang si précieux touche à peine la terre,
Que le courroux du ciel ne leur fait plus la guerre ;
Et trois mourants guéris au milieu du palais
De sa part tout d'un coup nous annoncent la paix.
Cléante vous a dit que par toute la ville…

Thésée
Cessons de nous gêner d'une crainte inutile.
À force de malheurs le ciel fait assez voir
Que le sang de Laïus a rempli son devoir:
Son ombre est satisfaite; et ce malheureux crime
Ne laisse plus douter du choix de sa victime.

Dircé
Un autre ordre demain peut nous être donné.
Allons voir cependant ce prince infortuné,
Pleurer auprès de lui notre destin funeste,
Et remettons aux dieux à disposer du reste.

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