ACTE II - Scène II


Dircé
Mégare que dis-tu de cette violence ?
Après s'être emparé des droits de ma naissance,
Sa haine opiniâtre à croître mes malheurs
M'ose encore envier ce qui me vient d'ailleurs.
Elle empêche le ciel de m'être enfin propice,
De réparer vers moi ce qu'il eut d'injustice,
Et veut lier les mains au destin adouci
Qui m'offre en d'autres lieux ce qu'on me vole ici.

Mégare
Madame, je ne sais ce que je dois vous dire :
La raison vous anime, et l'amour vous inspire ;
Mais je crains qu'il n'éclate un peu plus qu'il ne faut,
Et que cette raison ne parle un peu trop haut.
Je crains qu'elle n'irrite un peu trop la colère
D'un roi qui jusqu'ici vous a traitée en père,
Et qui vous a rendu tant de preuves d'amour,
Qu'il espère de vous quelque chose à son tour.

Dircé
S'il a cru m'éblouir par de fausses caresses,
J'ai vu sa politique en former les tendresses ;
Et ces amusements de ma captivité
Ne me font rien devoir à qui m'a tout ôté.

Mégare
Vous voyez que d'Aemon il a pris la querelle,
Qu'il l'estime, chérit.

Dircé
Politique nouvelle.

Mégare
Mais comment pour Thésée en viendrez-vous à bout ?
Il le méprise, hait.

Dircé
Politique partout.
Si la flamme d'Aemon en est favorisée,
Ce n'est pas qu'il l'estime, ou méprise Thésée ;
C'est qu'il craint dans son cœur que le droit souverain(car enfin il m'est dû)
ne tombe en bonne main.
Comme il connaît le mien, sa peur de me voir reine
Dispense à mes amants sa faveur ou sa haine,
Et traiterait ce prince ainsi que ce héros,
S'il portait la couronne ou de Sparte ou d'Argos.

Mégare
Si vous en jugez bien, que vous êtes à plaindre !

Dircé
Il fera de l'éclat, il voudra me contraindre ;
Mais quoi qu'il me prépare à souffrir dans sa cour,
Il éteindra ma vie avant que mon amour.

Mégare
Espérons que le ciel vous rendra plus heureuse.
Cependant je vous trouve assez peu curieuse :
Tout le peuple, accablé de mortelles douleurs,
Court voir ce que Laïus dira de nos malheurs ;
Et vous ne suivez point le roi chez Tirésie,
Pour savoir ce qu'en juge une ombre si chérie ?

Dircé
J'ai tant d'autres sujets de me plaindre de lui,
Que je fermais les yeux à ce nouvel ennui.
Il aurait fait trop peu de menacer la fille,
Il faut qu'il soit tyran de toute la famille,
Qu'il porte sa fureur jusqu'aux âmes sans corps,
Et trouble insolemment jusqu'aux cendres des morts.
Mais ces mânes sacrés qu'il arrache au silence
Se vengeront sur lui de cette violence ;
Et les dieux des enfers, justement irrités,
Puniront l'attentat de ses impiétés.

Mégare
Nous ne savons pas bien comme agit l'autre monde ;
Il n'est point d'œil perçant dans cette nuit profonde ;
Et quand les dieux vengeurs laissent tomber leur bras,
Il tombe assez souvent sur qui n'y pense pas.

Dircé
Dût leur décret fatal me choisir pour victime,
Si j'ai part au courroux, je n'en veux point au crime :
Je veux m'offrir sans tache à leur bras tout-puissant,
Et n'avoir à verser que du sang innocent.

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