ACTE I - Scène V
Œdipe
Eh bien ! Quand verrons-nous finir notre infortune ?
Qu'apportez-vous, Dymas ? Quelle réponse ?
Dymas
Aucune.
Œdipe
Quoi ? Les dieux sont muets ?
Dymas
Ils sont muets et sourds.
Nous avons par trois fois imploré leur secours,
Par trois fois redoublé nos vœux et nos offrandes :
Ils n'ont pas daigné même écouter nos demandes.
À peine parlions-nous, qu'un murmure confus
Sortant du fond de l'antre expliquait leur refus ;
Et cent voix tout à coup, sans être articulées,
Dans une nuit subite à nos soupirs mêlées,
Faisaient avec horreur soudain connaître à tous
Qu'ils n'avoient plus ni d'yeux ni d'oreilles pour nous.
Œdipe
Ah ! Madame.
Jocaste
Ah ! Seigneur, que marque un tel silence ?
Œdipe
Que pourrait-il marquer qu'une juste vengeance ?
Les dieux, qui tôt ou tard savent se ressentir,
Dédaignent de répondre à qui les fait mentir.
Ce fils dont ils avoient prédit les aventures,
Exposé par votre ordre, a trompé leurs augures ;
Et ce sang innocent, et ces dieux irrités,
Se vengent maintenant de vos impiétés.
Jocaste
Devions-nous l'exposer à son destin funeste,
Pour le voir parricide et pour le voir inceste ?
Et des crimes si noirs étouffés au berceau
Auraient-ils su pour moi faire un crime nouveau ?
Non, non : de tant de maux Thèbes n'est assiégée
Que pour la mort du roi, que l'on n'a pas vengée ;
Son ombre incessamment me frappe encor les yeux ;
Je l'entends murmurer à toute heure, en tous lieux,
Et se plaindre en mon cœur de cette ignominie
Qu'imprime à son grand nom cette mort impunie.
Œdipe
Pourrions-nous en punir des brigands inconnus,
Que peut-être jamais en ces lieux on n'a vus ?
Si vous m'avez dit vrai, peut-être ai-je moi-même
Sur trois de ces brigands vengé le diadème ;
Au lieu même, au temps même, attaqué seul par trois,
J'en laissai deux sans vie, et mis l'autre aux abois.
Mais ne négligeons rien, et du royaume sombre
Faisons par Tirésie évoquer sa grande ombre.
Puisque le ciel se tait, consultons les enfers :
Sachons à qui de nous sont dus les maux soufferts ;
Sachons-en, s'il se peut, la cause et le remède :
Allons tout de ce pas réclamer tous son aide.
J'irai revoir Corinthe avec moins de souci,
Si je laisse plein calme et pleine joie ici.