ACTE III - Scène III
Dircé
À quel propos, seigneur, voulez-vous qu'on diffère,
Qu'on dédaigne un remède à tous si salutaire ?
Chaque instant que je vis vous enlève un sujet,
Et l'état s'affaiblit par l'affront qu'on me fait.
Cette ombre de pitié n'est qu'un comble d'envie :
Vous m'avez envié le bonheur de ma vie ;
Et je vous vois par là jaloux de tout mon sort,
Jusques à m'envier la gloire de ma mort.
Œdipe
Qu'on perd de temps, madame, alors qu'on vous fait grâce !
Dircé
Le ciel m'en a trop fait pour souffrir qu'on m'en fasse.
Jocaste
Faut-il voir votre esprit obstinément aigri,
Quand ce qu'on fait pour vous doit l'avoir attendri ?
Dircé
Faut-il voir son envie à mes vœux opposée,
Quand il ne s'agit plus d'Aemon ni de Thésée ?
Œdipe
Il s'agit de répandre un sang si précieux,
Qu'il faut un second ordre et plus exprès des dieux.
Dircé
Doutez-vous qu'à mourir je ne sois toute prête,
Quand les dieux par mon père ont demandé ma tête ?
Œdipe
Je vous connais, madame, et je n'ai point douté
De cet illustre excès de générosité ;
Mais la chose après tout n'est pas encor si claire,
Que cet ordre nouveau ne nous soit nécessaire.
Dircé
Quoi ? Mon père tantôt parlait obscurément ?
Œdipe
Je n'en ai rien connu que depuis un moment.
C'est un autre que vous peut-être qu'il menace.
Dircé
Si l'on ne m'a trompée, il n'en veut qu'à sa race.
Œdipe
Je sais qu'on vous a fait un fidèle rapport ;
Mais vous pourriez mourir et perdre votre mort ;
Et la reine sans doute était bien inspirée,
Alors que par ses pleurs elle l'a différée.
Jocaste
Je ne reçois qu'en trouble un si confus espoir.
Œdipe
Ce trouble augmentera peut-être avant ce soir.
Jocaste
Vous avancez des mots que je ne puis comprendre.
Œdipe
Vous vous plaindrez fort peu de ne les point entendre :
Nous devons bientôt voir le mystère éclairci.
Madame, cependant vous êtes libre ici ;
La reine vous l'a dit, on vous a dû le dire ;
Et si vous m'entendez, ce mot vous doit suffire.
Dircé
Quelque secret motif qui vous aye excité
À ce tardif excès de générosité,
Je n'emporterai point de Thèbes dans Athènes
La colère des dieux et l'amas de leurs haines,
Qui pour premier objet pourraient choisir l'époux
Pour qui j'aurais osé mériter leur courroux.
Vous leur faites demain offrir un sacrifice ?
Œdipe
J'en espère pour vous un destin plus propice.
Dircé
J'y trouverai ma place, et ferai mon devoir.
Quant au reste, seigneur, je n'en veux rien savoir :
J'y prends si peu de part, que sans m'en mettre en peine,
Je vous laisse expliquer votre énigme à la reine.
Mon cœur doit être las d'avoir tant combattu,
Et fuit un piége adroit qu'on tend à sa vertu.