ACTE II - Scène XXV



(CAMARET CELESTIN PUIS ANGELE)


CELESTIN
Ce pauvre M. Champignol !

CAMARET
Ah çà ! qu'est-ce qui t'amène, toi ?

CELESTIN
Mon oncle, je venais vous demander, de la part de maman, d'arriver de bonne heure ce soir, avec Adrienne.

CAMARET
Pourquoi donc ?

CELESTIN
À cause de son bal… C'est Adrienne qui fera l'office de maîtresse de maison… Maman est malade.

CAMARET
Allons, bon ! qu'est-ce qu'elle a ?

CELESTIN
Oh ! rien de grave ! un rhumatisme…

CAMARET
Un rhumatisme !…

CELESTIN
Oui, qui la tient là !
(Il indique le côté droit. )


CAMARET
Par le flanc… droit !

CELESTIN
Vous dites ?

CAMARET
je dis : par le flanc droit !

CELESTIN
Ah ! oui !… Je vous demande pardon… Je ne comprenais pas…

CAMARET
Ah ! ce n'est pas de chance, pour un jour où elle reçoit… Enfin, c'est bien !
(Il remonte au fond, à gauche, avec Célestin. )


CHAMPIGNOL
Oh ! s'il est permis de détériorer un homme à ce point-là !
(Il retire son képi, et tout honteux, s'enveloppe la tête de son mouchoir et met son képi par dessus. )


CAMARET( au fond, à gauche.  )
Ah çà ! qu'est-ce que c'est que ce soldat chauve ?

CHAMPIGNOL(à droite, à l'avant-scène.  )
Apollon, Apollon lui-même n'y résisterait pas.

CAMARET
Eh ! dites donc, là-bas !

CHAMPIGNOL(gagnant le milieu de la scène.  )
Mon Capitaine !

CAMARET( descendant au n° 2, pendant que Célestin descend au n° 1.  )
Montrez donc votre tête, vous !

CHAMPIGNOL(ôtant son képi.  )
Hein ! Croyez-vous.

CAMARET
Quoi ! "Croyez-vous", qu'est-ce que ça veut dire : "croyez-vous" ? Ah ! c'est le loustic !

CHAMPIGNOL(avec fierté et satisfaction.  )
Ah ! il m'a reconnu !

CAMARET
Qui est-ce qui vous a permis de vous couper les cheveux comme ça, hein ? Est-ce que vous supposez qu'un soldat a le droit de disposer de sa tête pour en faire des boules d'escalier ?

CHAMPIGNOL
Mais, Capitaine…

CAMARET
Vous me ferez deux jours de salle de police pour vous apprendre à vous rendre grotesque.

CHAMPIGNOL
Ah ! non ! ça, c'est le bouquet !

CAMARET
Allez, rompez !… Retournez à la chambrée ; vous y resterez, jusqu'à ce que vos cheveux soient repoussés !

CHAMPIGNOL
Oui, mon Capitaine !… (À part.)
Eh bien ! j'en ai pour quelque temps ! Oh ! ils me rendront fou ! ils me rendront fou !… On me fait passer au papier de verre et encore on me colle au bloc !
(Il entre dans la première baraque de droite. )


CAMARET
Les voilà bien, quand on les laisse à leur initiative, ils ne savent qu'inventer pour se rendre ridicules !
(Il passe devant Célestin et va au n° 1. )


ANGELE( sortant de l'hôtel et parlant à la cantonade.  )
Oui ! s'il vous plaît, n'est-ce pas ?

CELESTIN
Tiens ! madame Champignol !

ANGELE( descendant au n° 1.  )
Pardon, Capitaine, vous ne pourriez pas me dire où je pourrais avoir l'heure des trains ?

CELESTIN(saluant.  )
Madame !

ANGELE
Oh ! excusez-moi, monsieur, je ne vous remettais pas…

CAMARET
Mais, Madame, les heures des trains, ils doivent les avoir à l'hôtel !… Vous songez donc à nous quitter ?

ANGELE
Oui, Capitaine,… je rentre ce soir à Paris…

CELESTIN
Oh ! Madame ! vous ne pouvez pas retarder votre départ d'un jour… ? Vous nous auriez fait grand plaisir, à ma mère et à nous tous, de venir ce soir à notre bal.

ANGELE
Madame votre mère ?

CAMARET
Eh bien, oui ! madame Rivolet… ma sœur !

ANGELE( à part.  )
C'est sa sœur !

CAMARET
… Qui donne une petite sauterie… justement pour ma fille Adrienne… On doit lui présenter un prétendu… un M. Saint-Florimond !

ANGELE( à part.  )
Saint-Florimond ! Et la fille du capitaine ! Ah ! le malheureux !

CELESTIN
Alors, Madame, décidément, vous ne pouvez pas ?

ANGELE
Oh ! non ! impossible ! absolument impossible !

CELESTIN
Mille regrets, Madame !

CAMARET
Mille regrets et bon voyage !
(Il salue et remonte à gauche, au fond, avec Célestin. )


ANGELE( à part.  )
Oh ! il faut absolument que je voie Saint-Florimond ; s'il va à ce bal, tout est perdu. (Haut.)
Capitaine !…

CAMARET
Madame !

ANGELE
je vais encore abuser de votre complaisance… mais avant de partir, je voudrais dire adieu à mon mari !

CAMARET( au fond.  )
C'est trop juste, Madame ! (À Ledoux qui vient à droite, troisième plan.)
Adjudant Ledoux !

LEDOUX
Mon Capitaine !

CAMARET
Allez chercher Champignol, et dites-lui que madame le demande…

LEDOUX(sortant par la droite.  )
Bien, mon Capitaine.

CAMARET( saluant militairement.  )
Maintenant, Madame…

CELESTIN(saluant.  )
Madame !

ANGELE
Monsieur !… Au revoir, Capitaine, et merci…
(Camaret sort par la gauche, deuxième plan, avec Célestin. )

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