ACTE II - Scène XXI



(SAINT-FLORIMOND ET BELOUETTE PUIS CHAMPIGNOL LEDOUX)


SAINT-FLORIMOND(en tenue de garde, la jugulaire de son képi au menton, Bélouette qui le suit )
Comment, sergent, c'est moi qui dois monter la garde ?

BELOUETTE
Dame ! c'est bien vous, Champignol ? Eh bien ! l'adjudant m'a dit : "Mettez Champignol de garde !"

SAINT-FLORIMOND
En voilà une scie ! (Appelant Bélouette.)
Sergent !

BELOUETTE
Quoi ! Qu'est-ce qu'il y a ?

SAINT-FLORIMOND
Est-ce que je dois rester là !

BELOUETTE
Naturellement, vous devez rester là !

SAINT-FLORIMOND
Non ! Je veux dire : jusqu'où puis-je aller ?

BELOUETTE
De là, à là (Il lui indique toute la profondeur de la scène, depuis la chambrée jusqu'à la cantine.)
Et de là, à là !
(Il lui indique l'espace de la cantine à la coulisse de droite. )


SAINT-FLORIMOND
Bien, sergent !
(Bélouette rentre au Corps de garde. Scène muette, dans laquelle Saint-Florimond monte la garde, d'abord dans le sens de la largeur de la scène, puis disparaît dans le passage du troisième plan, entre la cantine et le Corps de garde. Champignol, sortant de la première baraque de droite, en tenue de garde, précédé de Ledoux. )


LEDOUX
Vous êtes prêt ?… Eh bien ! vous allez prendre la garde.

CHAMPIGNOL
Où ça, mon Lieutenant ?

LEDOUX
Eh bien ! là parbleu !… vous vous informerez.
(Il sort par la gauche, deuxième plan. )


CHAMPIGNOL
Comme c'est amusant !… à peine arrivé !… déjà de garde ! (Il monte la garde, de la chambrée à la cantine ; au moment où il remonte la deuxième fois, il se trouve en face de Saint-Florimond qui redescend.)
Un autre homme de garde !

SAINT-FLORIMOND
Un second factionnaire !

CHAMPIGNOL
Qu'est-ce que vous faites-là ?

SAINT-FLORIMOND
On m'a mis de garde.

CHAMPIGNOL
Moi aussi.

SAINT-FLORIMOND
Ah !… c'est drôle !

CHAMPIGNOL
C'est drôle !
(Ils continuent leur garde dans le sens de la profondeur de la scène, en se croisant. )


SAINT-FLORIMOND
Vous êtes réservistes ?

CHAMPIGNOL
Non !… territorial… et vous ?

SAINT-FLORIMOND
Moi aussi.

CHAMPIGNOL
Monsieur, enchanté !

SAINT-FLORIMOND
Enchanté !
(Ils se serrent la main et reprennent leur garde. )


CHAMPIGNOL
Dites donc !… Est-ce que ce n'est pas vous qui faisiez tout à l'heure le portrait du capitaine ?

SAINT-FLORIMOND
Parfaitement ! c'était moi.

CHAMPIGNOL
Vous êtes donc peintre ?

SAINT-FLORIMOND
Pas du tout. Je n'ai jamais tenu un crayon de ma vie ; c'est là ce qu'il y a de plus terrible.

CHAMPIGNOL
Comment ça ?

SAINT-FLORIMOND
C'est tout un roman !

CHAMPIGNOL
Un roman ? (Lui prenant le bras.)
Mais contez-moi donc ça !
(Pendant ce qui suit, ils continuent à monter la garde, bras dessus, bras dessous, leurs fusils sur l'épaule. )


SAINT-FLORIMOND
Eh bien ! voilà… c'est que c'est grave… Il s'agit d'une intrigue avec une femme mariée, et la discrétion professionnelle…

CHAMPIGNOL
Mais, allez donc ! allez donc ; il n'y a que moi qui le saurai.

SAINT-FLORIMOND
D'ailleurs, je ne vous nommerai pas la personne… Eh bien !… Voilà !… (Remontant, en montant la garde, toujours bras dessus, bras dessous, avec Champignol)
… Je faisais la cour depuis quelque temps à une femme mariée.

CHAMPIGNOL
Jolie ?

SAINT-FLORIMOND
Charmante !… Je commence par vous dire qu'il ne s'est absolument rien passé entre nous.

CHAMPIGNOL
Oui, on dit toujours ça !

SAINT-FLORIMOND
Mais non, je vous assure.

CHAMPIGNOL(redescendant avec Saint-Florimond.  )
Oui, oui, allez donc ! Nous disons donc que vous n'êtes arrivé à rien.

SAINT-FLORIMOND
Ah ! si !

CHAMPIGNOL
Ah ! Ah ! vous voyez bien !
(Ils s'arrêtent tous les deux, bras dessus, bras dessous, et face au public, toujours dans le même ordre : Saint-Florimond, Champignol. )


SAINT-FLORIMOND
Mais non, vous ne me comprenez pas ! je suis arrivé à être pris pour le mari, et à faire ici ses treize jours à sa place !

CHAMPIGNOL
Non ! Ah ! que c'est drôle ! Il y a des maris qui ont de la chance ! Voilà une chose qui ne m'arriverait jamais à moi ! Mais, dites-moi, ça ne m'explique pas pourquoi vous faisiez le portrait du capitaine, n'ayant jamais tenu un crayon de votre vie.

SAINT-FLORIMOND
Ah ! voilà, c'est que je ne vous ai pas dit : le mari de la dame…

CHAMPIGNOL
Eh bien ?

SAINT-FLORIMOND
Il est peintre.

CHAMPIGNOL
Un confrère ! Ah ! que c'est amusant !

SAINT-FLORIMOND
Comment, un confrère ?

CHAMPIGNOL
C'est vrai, au fait, vous ne me connaissez pas ! je suis M. Champignol.

SAINT-FLORIMOND(bondissant en croisant la baïonnette.  )
Qui vive ! alerte ! avance au ralliement !(Tombant affolé sur le banc du fond, devant la cantine.)
Le mari ! mari ! mari !

CHAMPIGNOL
Marie !… il pense à sa mère ! (Allant à Saint-Florimond et essayant de le consoler.)
Tu la reverras. (Il s'asseoit sur le banc, à côté de Saint-Florimond n° 1.)
Allons, voyons !… Eh bien ! et vous ?

SAINT-FLORIMOND
Moi !… Quoi ?

CHAMPIGNOL
Comment t'appelles-tu ?

SAINT-FLORIMOND
Euh… Auguste.

CHAMPIGNOL
Auguste… quoi ?

SAINT-FLORIMOND
Auguste… Rien ! Enfant naturel !

CHAMPIGNOL
Ah ! crois que je compatis… Note que ça n'empêche pas d'être quelque chose… Vois, le grand empereur romain : il ne s'appelait qu'Auguste, comme toi… Ça l'a-t-il gêné dans sa carrière ?

SAINT-FLORIMOND
C'est juste.

CHAMPIGNOL(se levant.  )
Auguste ! Et alors… dis-moi ! ce peintre… hein !… à moi… comment s'appelle-t-il ?

SAINT-FLORIMOND(se levant.  )
Ah ! non ! non ! je ne peux pas !

CHAMPIGNOL(lui donnant le bras.  )
Allons ! Allons ! voyons… ça me fera plaisir.
(Ils reprennent tous les deux leur faction, et descendent bras dessus bras dessous, comme précédemment. )


SAINT-FLORIMOND
Oh ! on dit ça…

CHAMPIGNOL
Voyons, Auguste, ce n'est pas par curiosité, c'est pour savoir si je le connais.
(Ils s'arrêtent à l'avant-scène. )


SAINT-FLORIMOND
Eh bien ! c'est… c'est Raphaël.

CHAMPIGNOL
Blagueur ! Il y a plus de trois cents ans qu'il est mort !

SAINT-FLORIMOND
Attendez donc ! vous ne me laissez pas achever : Raphaël Potard.

CHAMPIGNOL
Raphaël Potard ! c'est drôle ! parmi les peintres… Potard ! non, connais pas !

SAINT-FLORIMOND
Oh ! c'est un tout petit peintre ! tout petit peintre… (Il remonte avec Champignol.)
Il avait épousé une mulâtresse… une mulâtresse… qui avait eu des nègres dans sa famille !

CHAMPIGNOL(redescendant.  )
Naturellement.

SAINT-FLORIMOND
Et alors cette mulâtresse…

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