ACTE II - Scène IX



(LEDOUX CAMARET PUIS SINGLETON LES RESERVISTES)


LEDOUX(à gauche.  )
Pas dégourdi, cet homme-là ! Ça doit venir de la campagne, ça…

CAMARET( sur le pas de la porte de l'hôtel.  )
Adjudant Ledoux !

LEDOUX
Mon capitaine ?

CAMARET
Vos hommes sont en tenue ?

LEDOUX
Oui, mon Capitaine !

CAMARET
Faites sonner pour l'exercice ; en même temps, je les verrai.

LEDOUX(sortant par le fond, à droite.  )
Bien, mon capitaine…
(Camaret rentre à l'hôtel.  Ledoux sort par la droite, troisième plan. Sonnerie dans la coulisse.  Le caporal Grosbon, le sergent Bélouette, Singleton, Lafauchette, Lavalanche, le Prince, Badin et tous les réservistes sortent précipitamment de la baraque de droite. Ils sont tous en tenue, sauf Badin, toujours en civil, avec son chapeau haut-de-forme. )


BELOUETTE(aux réservistes.  )
Allons, plaçons-nous rapidement !…
(Les réservistes se placent sur deux rangs, face au public, formant trois escouades.  Les escouades de droite, et de gauche, chacune avec un caporal à leur droite, sont composées de réservistes sans importance. Celle du milieu est disposée de la façon suivante : 1°, à gauche, Grosbon, caporal ; 2°, Singleton ; 3°, Lafauchette ; 4°, Lavalanche ; 5°, Badin ; 6°, le Prince.  Derrière Singleton, une place vide pour Champignol.  Les réservistes une fois placés, Camaret sort de l'hôtel. )


CAMARET( voyant Badin en civil.  )
Comment se fait-il que vous soyez en civil, vous ?

BADIN
Mon Capitaine, on n'a pas trouvé de vêtements à ma taille.

CAMARET
Des vêtements ! on ne dit pas des vêtements.

BADIN
Euh ! des costumes !

CAMARET
On ne dit pas costumes ! Comment ça s'appelle quand tout le monde est habillé pareil, hein ? Quand on a un uniforme, comment ça s'appelle ?

BADIN
Euh !… livrée !…

CAMARET
Livrée ! (À Bélouette qui est à droite n° 2.)
Vous marquerez deux jours à cet homme-là ! C'est le marchand de billets, parbleu ; il veut faire le poseur ! Quand on a un uniforme, ça s'appelle un uniforme… Crétin !

BADIN
Eh bien ! je crois que je vais être heureux, ici !…

BELOUETTE(aux réservistes.  )
Garde à vous !

CHAMPIGNOL(sortant de la première baraque de droite.  )
Ah ! mon Dieu ! l'appel ! déjà ! (à Bélouette.)
Où faut-il me mettre, sergent ?… Où faut-il me mettre ?

BELOUETTE
Comment ! il faut vous mettre à votre place habituelle.

CHAMPIGNOL
À ma place habituelle !… Sapristi !…
(Il se précipite à une place dans le rang et marche sur les pieds du Prince qui pousse un cri ; il veut prendre alors la place de Lavalanche. )


LAVALANCHE
Mais non, tu n'es pas là !

CHAMPIGNOL
Ah ! C'est juste ! (Voulant prendre la place de Singleton.)
Pardon !

SINGLETON
C'est pas ta place !

BELOUETTE
Ah çà ! est-ce que vous avez bientôt fini de papillonner comme ça ?

CHAMPIGNOL(entrant dans le rang entre Singleton et Lafauchette ; il se place au deuxième rang, derrière Singleton,  )
Voilà, voilà ! sergent ! Vous pouvez commencer.

BELOUETTE(commandant.  )
Numérotez-vous !
(Les réservistes se numérotant. : 1, 2, 3, 4. )


CHAMPIGNOL
4 bis !

BELOUETTE
À droite, alignement ! Fixe !

CAMARET( s'avançant.  )
Tout le monde est là ?

BELOUETTE
Oui, mon capitaine.

CAMARET
Voyons un peu ! (Il leur passe l'inspection, en commençant par la gauche. À un territorial.)
Vous n'avez qu'un tour à votre cravate… Il faut deux tours à la cravate !… (Il relève la veste du suivant qui n'a qu'une bretelle, même jeu à Singleton, qui n'en a pas.)
Vous n'avez pas de bretelles, vous ! On ne vous a pas dit de mettre des bretelles ?

SINGLETON
Si, mon capitaine, mais ça me gêne !

CAMARET
Ah ! ça vous gêne ! (À Bélouette qui est au n° 1.)
Vous changerez les quatre jours de consigne en deux jours de salle de police pour faire à son capitaine des réponses subversives.

SINGLETON
Mais je croyais…

CAMARET
On ne croit pas, et puis, taisez-vous !

SINGLETON( à part.  )
Oh ! mais il m'a dans le nez.

CHAMPIGNOL(passant la tête entre Singleton et Lafauchette.  )
Ce qu'il a l'air sévère, ce capitaine-là !

CAMARET( à Bloquet.  )
Allons ! C'est bien ! maintenant, caporaux, prenez vos escouades et commencez l'exercice !

BLOQUET(caporal de l'escouade de gauche, commandant. )
Par le flanc gauche, marche !
(Il sort par la gauche, deuxième plan, derrière l'hôtel, avec son escouade. )


ROUCHE(caporal de l'escouade de droite, commandant. )
Par le flanc droit, marche !
(Il sort par la droite, troisième plan avec son escouade. )


CAMARET( aux soldats qui sortent :  )
Allons ! au pas ! au pas ! (À Bélouette.)
Ah ! pendant que j'y pense, sergent Bélouette, faites venir le territorial Champignol.

CHAMPIGNOL(qui est resté en scène avec l'escouade commandée par Bélouette.  )
Moi ! (Sortant du rang en passant entre Singleton et Lafauchette qu'il bouscule,)
Mon capitaine ?

CAMARET
Qui est-ce qui vous demande quelque chose, à vous ?

CHAMPIGNOL
Mais…

CAMARET
Est-ce que vous vous appelez sergent Bélouette ? Eh bien ! retournez donc à votre place !

CHAMPIGNOL
Ah ! bien, mon Capitaine (Il regagne sa place au deuxième rang en passant par la gauche de l'escouade.)
C'est une girouette !

CAMARET( à Bélouette.  )
Allez ! Sergent ! (Bélouette sort par la droite, troisième plan. Camaret, à part, sur le devant de la scène.)
C'est vrai, j'ai pensé à autre chose : puisque je tiens Champignol, je vais lui faire faire mon portrait. (À Grosbon.)
Allons, commencez l'exercice, je vais voir dans les chambres, si c'est un peu mieux rangé.
(Il entre dans la première baraque de droite. Grosbon reste en scène avec son escouade composée de Champignol, Badin, Singleton, Lafauchette, le Prince, Lavalanche. )


GROSBON(commandant, le dos au public.  )
Garde à vous ! à droite et à gauche, sur un rang, marche ! (Les réservistes exécutent le mouvement et se trouvent sur un rang dans l'ordre suivant ; 1° à gauche, un territorial ; 2°, Champignol ; 3°, Singleton ; 4°, Lafauchette ; 5°, Badin ; 6°, Lavalanche ; 7°, le Prince.À droite, alignement !  Les hommes s'alignent, en ayant soin de laisser un peu d'espace entre eux pour avoir la liberté de leurs mouvements.)
Fixe ! Et maintenant, les vingt-huit jours, il ne s'agit plus de rigoler !… Tâchez moyen d'ouvrir l'œil et de bien manœuvrer ou sans ça je vous fourre dedans comme des tambours. (Commandant.)
Garde à vous ! Mouvement horizontal des bras sans flexion, en deux temps ! Voici votre mouvement : Un ! deux ! Un ! deux ! commencez !(Les réservistes, exécutant le mouvement.  )
Un ! deux ! Un ! deux !

GROSBON
Ensemble !… C'est mou, ça !… c'est mou !… Allons !… (À Champignol.)
Vous, là-bas, c'est mou !

CHAMPIGNOL
Si le jury de peinture me voyait !…

GROSBON(commandant)
.  Cessez !… (Courant à Champignol.)
Vous n'entendez pas ce que je vous parle !

CHAMPIGNOL
Ah ! Pardon, caporal ! Je ne comprenais pas !

GROSBON
Comment, vous ne comprenez pas !… Il me semble que je parle français ! Qui qui m'a fichu un cosaque pareil ?

CHAMPIGNOL(à part.  )
Qui ! qui ! il appelle ça parler français !

GROSBON(à Badin.  )
Et puis, vous, là-bas, le civil… on ne manœuvre pas en gibus !… retirez votre gibus !…

BADIN
Bien ; Caporal….
(Il retire son chapeau, et, ne sachant où le poser, le garde dans la main droite et manœuvre ainsi. )


GROSBON
Garde à vous ! Mouvement horizontal et latéral des bras sans flexion, avec flexion sur les extrémités inférieures ! Voici votre mouvement : un ! deux ! Commencez !

CHAMPIGNOL(tout en manœuvrant.  )
Dieu ! que c'est bête ! mon Dieu ! que c'est bête !(Les réservistes, manœuvrant.  )
Un ! deux !

Autres textes de Georges Feydeau

Un fil à la patte

"Un fil à la patte" est une comédie en trois actes de Georges Feydeau. Elle raconte l'histoire de Fernand de Bois d'Enghien, un homme qui souhaite rompre avec sa maîtresse,...

Un bain de ménage

"Un bain de ménage" est une pièce en un acte de Georges Feydeau. Elle se déroule dans un vestibule où une baignoire est installée. La pièce commence avec Adélaïde, la...

Tailleur pour dames

(Au lever du rideau, la scène est vide.)(Il fait à peine jour. Étienne entre par la porte de droite, deuxième plan.)(Il tient un balai, un plumeau, une serviette, tout ce...

Séance de nuit

(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...

Par la fenêtre

Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024