ACTE II - SCENE VII
JOSEPH
RASANVILLE
JOSEPH
(parlant au fond. )
Monsieur peut entrer !
RASANVILLE
(entrant du fond, tenue élégante et un ruban rouge à la boutonnière. Il est très myope, saluant autour de lui. )
Madame, madame.
JOSEPH
Mais madame n'est pas là, monsieur.
RASANVILLE
Il me semblait aussi que je ne la voyais pas.
(Il se cogne dans un tabouret et manque de tomber.)
JOSEPH
Oh ! prenez garde.
RASANVILLE
Merci !… une autre fois, prévenez-moi avant ! Je vous dirai que je suis très myope … et comme je ne porte pas de lorgnon !
JOSEPH
Pourquoi ?
RASANVILLE
Parce que je trouve que ça nuit à l'élégance. Notre métier a ses exigences; nous autres reporters mondains, nous sommes pour la pureté du style… dans notre toilette.
JOSEPH
Ah ! monsieur est rapporteur ?
RASANVILLE
Non ! reporter au journal "La grande vie" et je désire voir le nouveau légionnaire que je suis chargé d'interviewer.
JOSEPH
De quoi ?
RASANVILLE
D'interviewer, autrement dit l'interroger pour faire son portrait, vous comprenez ?…
JOSEPH
Parfaitement ! Monsieur peint ?
RASANVILLE
Non, j'écris ! voyons, c'est sans doute le cabinet de travail ?
JOSEPH
Oui, monsieur.
RASANVILLE
Est-ce qu'il est bien ?
JOSEPH
Dame ! vous voyez. (A part.)
Ah ! c'est vrai, il est myope !
RASANVILLE
Je vais en prendre le plan.
(Il tire un carnet de sa poche.)
JOSEPH
(à part. )
Ah, çà ! c'est un mouchard !… (Haut.)
Mais pour quoi faire, monsieur ?
RASANVILLE
Mais pour mettre dans mon journal. Ça intéresse le public.
JOSEPH
Ah ! c'est pour mettre dans le journal !… C'est différent ! Prenez, monsieur !
RASANVILLE
Voyons. (Ecrivant sur son carnet.)
Grande fenêtre donnant sur la place de
Louvois.
JOSEPH
Oui, monsieur. Monsieur remarquera l'espagnolette. L'espagnolette ne va pas, mais j'ai prévenu le serrurier, il doit venir l'arranger !
RASANVILLE
Merci, mon ami. (Ecrivant.)
Tapisseries anciennes. Le style général de la pièce est… (A JOSEPH)
Louis XV ou Louis XVI ?…
JOSEPH
Oh !… mettez les deux louis.
RASANVILLE
Voyons… les objets d'art. Pas beaucoup de tableaux ici. Ah ! de qui celui-là ?
JOSEPH
Ah ! attendez, monsieur… c'est Hobbéma ou Abbéma…
RASANVILLE
Ah ! ah !
JOSEPH
Enfin, je sais que c'est une femme !
RASANVILLE
Ah ! bon !… (Ecrivant.)
Hobbéma
JOSEPH
Oui.
RASANVILLE
Ah ! maintenant… (Apercevant une chancelière sous le bureau.)
Ah ! tiens !…(Appelant comme on appelle un chien.)
bss ! bss !
JOSEPH
Qu'est-ce qu'il y a ?
RASANVILLE
Est-ce qu'il est farouche ?
JOSEPH
Qui ?
RASANVILLE
Ce chien ?
JOSEPH
Ce n'est pas un chien, c'est une chancelière.
RASANVILLE
Oh ! pardon !
JOSEPH
(à part. )
On n'est pas myope comme ça !
RASANVILLE
(à part. )
Ah ! tiens ! tiens !… En attendant madame Paginet, si je profitais un peu de ce domestique pour l'interroger un peu sur elle ! (Haut.)
Voyons, mon ami, vous pouvez m'être d'une grande utilité. Vous n'ignorez pas que vous êtes au service d'une personnalité très en vue. Eh bien ! vous pourriez me donner quelques détails sur elle. Quel genre de personne est-ce ?
JOSEPH
Quel genre de personne ? Ah ! monsieur je n'ai qu'à me louer. C'est ce qu'on appelle une bonne nature… un peu maniaque. Tout le monde a ses petits travers!… mais vous savez, là, un bon garçon !
RASANVILLE
Pas du tout femme, alors ?
JOSEPH
Ah ! bien, par exemple ! (Voix de PAGINET)
Tenez !… Vous allez en juger par vous-même. Je l'entends.
RASANVILLE
(à part. )
Ah ! c'est madame Paginet.
(JOSEPH sort par le fond.)