ACTE I - SCENE XI



PLUMAREL puis DARDILLON

PLUMAREL
Voyons !… Où est mon chapeau ?

DARDILLON
(sortant du laboratoire le dos tourné. )
Non, mes petits, il n'y en a plus ! il n'y en a plus !

PLUMAREL
Dardillon !… Eh bien ! à qui en as-tu ?

DARDILLON
Aux lapins!… Il y a des lapins là-dedans… pour les expériences du docteur.
Alors, je leur donnais de la salade ! pauvres petites bêtes ! Ah ! c'est égal, si je m'attendais à te retrouver !

PLUMAREL
Et moi donc !

DARDILLON
M'as-tu assez embêté au collège ?… Il n'y avait qu'à moi que tu flanquais des roulées.

PLUMAREL
Tous les autres étaient plus forts que moi ! et puis enfin, je peux te le dire maintenant, tu avais un fichu défaut, tu étais d'un cafard !…

DARDILLON
Je n'étais pas cafard, j'aimais à raconter, voilà tout. Mais, dis-moi donc, il paraît que tu es très bien dans la maison ?

PLUMAREL
Oh ! comme ça !

DARDILLON
Si ! si !… du reste, c'est assez naturel… tu fais décorer le mari… tu fleuris la femme… tu es la providence de la famille.

PLUMAREL
Qu'est-ce que tu veux ? Ils me sont tous très sympathiques, ces gens-là.

DARDILLON
Oui, la jeune fille surtout.

PLUMAREL
La jeune fille ?… qui t'a dit cela ?

DARDILLON
Mon petit doigt.

PLUMAREL
Eh bien ! puisque tu le sais, je ne te cacherai pas que je compte bien être avant peu l'heureux époux de Mademoiselle Paginet nièce.

DARDILLON
Tous mes compliments !… Et alors, elle t'aime, Mademoiselle Paginet nièce ?

PLUMAREL
Je ne sais pas.

DARDILLON
Ah ! bon !…

PLUMAREL
Pourquoi dis-tu : "Ah ! bon ? "

DARDILLON
Non ! je dis : "Ah ! bon ! " parce qu'il y a des gens quelquefois qui, avant de faire leur demande, s'inquiètent de savoir s'ils sont aimés.

PLUMAREL
Ah ! bien ! je ne suis pas de cette école-là. Le principal, pour moi, est d'être agréé.

DARDILLON
Alors, tu ne t'es jamais déclaré à Mademoiselle Paginet ?

PLUMAREL
Jamais ! c'est là ma force ! Comprends donc ! Qu'est-ce qui arrive neuf fois sur dix ?… Un jeune homme entre dans une maison, il remarque la jeune fille, se montre empressé envers elle, la famille s'inquiète ! Il va compromettre ma fille ! Et un beau jour on vous fait comprendre poliment que vos assiduités sont déplacées et qu'on fera bien dorénavant d'espacer ses visites et de rester chez soi.

DARDILLON
C'est vrai.

PLUMAREL
Tandis que voilà un garçon qui pénètre dans une famille. La jeune fille est jolie… il ne la regarde même pas. Mais pour les parents, tous les égards ! toutes les attentions ! peu à peu, il devient indispensable; le père est vaniteux ? on flatte sa vanité; la mère est sur le retour ? on a pour elle toutes les prévenances, toutes les galanteries qu'on a pour une jeune femme; et alors, dans toute la maison, c'est comme un vent de sympathie qui souffle pour vous; c'est un courant qui entraîne tout le monde, père, mère, parents, famille, et finit par emporter cette jeune fille elle-même que vous n'avez plus qu'à cueillir gentiment au passage. Voilà, mon cher, toute ma politique.

DARDILLON
Oui !… alors, d'après toi, pour faire la cour à une jeune fille…

PLUMAREL
Commencez par la famille !… Si elle a une mère, faites la cour à la mère.

DARDILLON
Sapristi ! mais tu remontes les courants, toi !

PLUMAREL
Parfaitement ! je suis le contraire des cours d'eau qui vont aux rivières pour se jeter dans la mer. Moi, je me jette dans la mère pour arriver à…

DARDILLON
Bon !… Mais madame Paginet est une honnête femme ?

PLUMAREL
Tiens ! je l'espère bien !… sans ça… Mais une honnête femme, surtout quand elle n'est plus jeune, est toujours sensible à la cour qu'on lui fait.

DARDILLON
Tu es très fort.

PLUMAREL
Tu vois, mon cher, je ne suis pas méfiant. Je te dévoile mes cartouches. A ton service quand tu en auras besoin.

DARDILLON
Je les accepte.

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