ACTE II - SCENE X
LES MEMES, JOSEPH, puis SIMONE, DARDILLON
JOSEPH
(accourant du fond. )
Monsieur, monsieur, il y a en bas un municipal à cheval qui apporte ce pli.
PAGINET
(prenant le papier. )
Qu'est-ce que c'est que ça ?… (Lisant.)
"Chancellerie de la
Légion d'Honneur" ! C'est mon brevet.
MADAME PAGINET
(à part. )
Le brevet !… Tout est perdu.
JOSEPH
Je ne crois pas que ce soit pour monsieur. Le garde m'a dit que c'était pour madame
Paginet.
PAGINET
Eh ! bien, il s'est trompé, le garde ! (Haussant les épaules.)
Madame Paginet !
Parbleu ! c'est encore la même chose !… M. P… ça veut dire : Maître. Vous direz au garde que ça veut dire Maître.
MADAME PAGINET
(à part. )
Ah ! le malheureux !…
PAGINET
Vite !… voyons !… (Il déchire l'enveloppe, lisant.)
"Le Président de la République, vu les articles, etc. , etc. , arrête : Madame Paginet est nommée"… (Poussant un cri.)
Ah ! Hein !… quoi !… Tu es !… (Il tombe sur le canapé.)
MADAME PAGINET
Paginet, mon ami !… du courage !
PAGINET
(dont la figure s'illumine. )
Ah ! non !… ça c'est trop !… non, vrai !… c'est trop !
MADAME PAGINET
Quoi ?
PAGINET
Décorée !… Tu es décorée !…
MADAME PAGINET
Hein ?… Moi !… Oui !… Ah !
PAGINET
Ah ! non !… vois-tu !… c'est trop de bonheur à la fois !… moi le matin, toi le soir !… le mari et la femme décorés dans la même journée !… Oh ! non, c'est trop ! c'est trop !
MADAME PAGINET
(à part. )
Comment, il croit…
PAGINET
(l'embrassant. )
Ah ! Bébé !… que je suis heureux !… (Appelant.)
Simone !…
Dardillon !…
SIMONE et DARDILLON
(entrant de droite. )
Qu'est-ce qu'il y a ?
PAGINET
Ah ! Simone !… Embrasse ta tante !… elle est décorée !
SIMONE
Elle aussi ?
PAGINET
Oui !… Nous le sommes tous les deux !… Nous avons fait coup double!…
SIMONE
(embrassant MADAME PAGINET)
Oh ! ma tante !…
DARDILLON
Madame !…
PAGINET
Ah ! bébé !… Il me semble que tu es plus grande encore que tout à l'heure. Vois-tu, ça me faisait quelque chose que tu ne fusses pas décorée, toi, une femme supérieure !… toi que je mettais à mon niveau !… à l'idée qu'il allait exister désormais une différence entre nous !… Eh ! bien, non, tu es encore et toujours mon égale !… nous pouvons marcher de front… fiers de nous et dignes l'un de l'autre.
MADAME PAGINET
(dans les bras de PAGINET pleurant. )
Ah ! mon ami !… mon ami !…
PAGINET
(très ému, s'essuyant les yeux. )
Pleure, bébé. Les larmes de joie… ça fait du bien.
SIMONE
(émue à DARDILLON)
Est-il éloquent, mon oncle !
DARDILLON
Démosthène !
PAGINET
Allons !… voyons !… Soyons homme !… (A DARDILLON)
Dardillon, vous faites les cartes ?
DARDILLON
Oui, monsieur.
PAGINET
Eh bien ! sous PAGINET, chevalier de la Légion d'Honneur vous mettrez : Et madame aussi…
DARDILLON
Bien, monsieur.
(Il sort par la droite.)
PAGINET
Quant à toi, bébé, puisque toutes ces lettres de félicitations sont pour toi, tiens ! va ! va répondre tout de suite. Il est bon pour ces choses-là de ne pas faire traîner les remerciements !
MADAME PAGINET
Oui ! J'y vais !… (Sortant par la gauche.)
Ah ! mon Dieu !