ACTE I - SCENE II



PAGINET puis SIMONE

PAGINET
Ah ! te voilà, Simone. Justement, mon enfant, j'ai à te parler sérieusement !

SIMONE
A moi ?… Hum !… Ça sent le mariage ça, mon oncle.

PAGINET
(à part. )
Elle a du nez. (Haut)
. Eh bien ! quoi !… Il s'agit de mariage. Tu ne dois pas
(être opposée à ça ?…)

SIMONE
Est-ce qu'on demande cela à une jeune fille ? Et alors, comme ça, mon oncle, j'ai
(été sollicitée ?)

PAGINET
Parfaitement !… Et je tenais à te consulter avant d'en parler à ta tante.

SIMONE
C'est bien gentil !

PAGINET
Tu verras… ce n'est pas le premier venu.

SIMONE
Oh ! je sais bien ! Voulez-vous que je vous fasse son portrait ? Il est blond avec des yeux bleus.

PAGINET
Pas du tout, il est brun avec des yeux noirs.

SIMONE
Hein !… Mais il ne s'appelle pas…

PAGINET
Si, il s'appelle Lucien.

SIMONE
Ah !
(On sonne au téléphone.)

PAGINET
Le téléphone ! attends un peu… (Allant au téléphone.)
Allô ! Allô !

SIMONE
(à part. )
Mais alors, ce n'est pas monsieur Ernest Dardillon ! Ah ! cet Ernest, comptez donc avec les hommes, des poules mouillées !

PAGINET
(au téléphone. )
Allô ! oui, qui êtes-vous ?… Hein ? Quoi ?

SIMONE
Qu'est-ce que c'est ?

PAGINET
Je ne sais pas ! C'est un monsieur qui me dit : "C'est moi Ernest, je viens !…"

SIMONE
(à part. )
Mon Dieu ! C'est monsieur Ernest qui me téléphone, l'imprudent! (Haut.)
Ça doit être quelqu'un qui se trompe. Je vais lui faire une farce. Vous allez voir.

PAGINET
Mais non, voyons, ne fais pas ça !

SIMONE
Si, si, vous allez voir ! (Parlant au téléphone.)
Me voilà, Ernest.

PAGINET
Est-elle gamine !

SIMONE
Oui, je vous aime toujours !

PAGINET
Voyons !… voyons !… Simone !

SIMONE
Laissez donc !… (Au téléphone.)
Venez ! le temps presse !… Hein ? Vous avez reçu ma lettre ? Eh bien ! suivez les prescriptions de point en point.

PAGINET
Elle a un aplomb !…

SIMONE
(au téléphone. )
Mai si… voyons !… qui ne risque rien n'a rien !… Au revoir !… je vous aime ! (Elle appuie trois fois sur le bouton.)
Voilà !… C'est très amusant.

PAGINET
Mais, ce malheureux !… C'est indélicat ce que tu fais là.

SIMONE
Ah ! bah ! c'est sous le couvert de l'anonyme !… Alors voyons, causons, mon oncle, quel est-il, ce beau prétendu ?

PAGINET
Eh bien, voilà!… C'est monsieur Plumarel.

SIMONE
Ah ! le neveu du ministre ?

PAGINET
Comment le trouves-tu ?

SIMONE
Ah ! très bien !… très bien !… Et puis, il est le neveu du ministre.

PAGINET
Précisément !… et, je peux bien te le dire, au ministère il est fortement question de ma nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur.

SIMONE
Et c'est bien juste, vous avez tous les titres…

PAGINET
Enfant !… tout le monde en a, des titres. Quand on veut on en trouve toujours.

SIMONE
Cependant, quand ils n'existent pas ?

PAGINET
On les appelle "exceptionnels"!…

SIMONE
Ah !

PAGINET
Vois-tu, ça, c'est comme les livres; ce n'est pas le titre qui fait la vente, c'est la réclame. Eh bien ! Plumarel, c'est ma réclame.

SIMONE
Je comprends !… Il vous chauffe auprès de son oncle,… il vous pistonne.

PAGINET
Ah !… elle est très forte !… Eh bien ! comme tu dis, il me pistonne, il me pistonne auprès de son oncle !… Et voilà !… voilà pourquoi je te le propose pour mari.

SIMONE
Mais je trouve ça parfaitement raisonné, mon oncle.

PAGINET
Alors, je peux lui dire ?…

SIMONE
Vous croyez qu'il faut lui dire comme ça, tout de suite.

PAGINET
Pourquoi pas ? Quel inconvénient y vois-tu ?

SIMONE
Pour moi,… aucun ! Mais c'est pour vous ! Vous savez, la nature humaine est si ingrate !

PAGINET
Comment ?

SIMONE
Dame !… si vous lui donnez ma main tout de suite, ça y est ! Et, si après, il ne vous fait pas décorer, vous êtes volé !

PAGINET
C'est juste !

SIMONE
Faites-vous donner la décoration d'abord.

PAGINET
Oui, contre remboursement !

SIMONE
C'est ça, mon oncle, dans la vie il faut être pratique.

PAGINET
Mais tu as raison !… et moi qui ne pensais pas à tout ça !… Te vois-tu mariée, engagée, et puis rien !… car enfin, n'est-ce pas, il n'y a pas de raison. Si tu avais aimé ce garçon-là, j'aurais dit : je passe par dessus ma décoration, mais du moment que tu ne l'aimes pas !… je ne veux pas vous marier pour des prunes.

SIMONE
C'est juste !… (Au public.)
Voilà mon oncle.

PAGINET
Tiens, tu es étonnante ! universelle ! Alors, je lui dirai à Plumarel ?

SIMONE
Contre remboursement.

PAGINET
C'est ça !
(Il sort par la droite.)

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