ACTE III - Scène IV


Moulineaux (s'élançant au-devant d'Yvonne.)
Enfin, Yvonne ! Ah ! dans quelle inquiétude tu m'as mis ! (n° 3)
.

Madame Aigreville (arrêtant Moulineaux au passage.)
Arrière, monsieur (n° 2)
 !

Moulineaux
Hein !

Madame Aigreville
Ne vous méprenez pas sur le motif de notre présence ici !

Moulineaux
Mais…

Madame Aigreville
Ah ! vous avez cru que cela se passerait ainsi ! Non ! Je sais quels devoirs mon rôle de mère m'impose !…

Moulineaux
Aïe !… Si elle s'en mêle !

Madame Aigreville
Mon gendre, puisque tant est que vous l'êtes, je vous ramène votre femme.

Moulineaux
Hein ! Ah ! belle-maman, voilà un beau mouvement !
(Il veut s'élancer.)

Madame Aigreville (l'arrêtant.)
Arrière donc !… Ce n'est pas comme vous l'entendez !… Nous avons longuement réfléchi, ma fille et moi, et voici ce que nous avons décidé.

Moulineaux (se montant.)
Parbleu ! si votre fille vous a écoutée, ça va être joli !

Madame Aigreville
Il n'y aura plus rien de commun entre votre femme et vous.

Moulineaux (riant jaune.)
Là !… qu'est-ce que je disais ?

Madame Aigreville
J'avais d'abord pensé à me retirer avec ma fille chez moi. C'est ainsi que nous avons passé cette nuit au Grand Hôtel… chambre 432… au quatrième sur la place. Mais il ne convient pas que nous soyons livrées aux commentaires du monde. Ma fille vivra sous le même toit que vous pour sauver les apparences.

Moulineaux (à part.)
Oui ? Oh ! bien, je me charge bien, une fois seul avec ma femme…

Madame Aigreville
Et j'habiterai avec elle !…

Moulineaux (sursautant.)
Hein !

Madame Aigreville
Pour être son conseil et son défenseur.

Moulineaux
Ah bien ! ça va être gai !

Madame Aigreville
Nous ferons absolument ménage à part, nous prendrons chacun une moitié de l'appartement. (Montrant l'appartement de Moulineaux.)
Ceci, côté des hommes. Ceci côté des dames ; ici, salle mixte !

Moulineaux
Oui, pour les parlementaires.

Madame Aigreville
Voilà comme j'entends régler notre existence et apporter la paix dans le ménage.

Moulineaux (riant jaune.)
Ah bien ! je vous fais mon compliment… (Eclatant.)
Mais c'est fou, voyons !… On n'a pas idée de ça ! car enfin, que me reproche-t-on, au bout du compte ?… Oui, enfin, dis-le, Yvonne, que me reproches-tu ?

Yvonne
Moi ?

Madame Aigreville (vivement.)
Ne réponds pas, Yvonne !

Moulineaux (furieux.)
Ah ! bien ! vous allez la laisser parler, vous, par exemple !…

Madame Aigreville
Pas d'emportement, monsieur !

Yvonne (passant au 2.)
Comment, monsieur, vous avez le front de me demander ce que j'ai à vous reprocher ?

Madame Aigreville
Oui, il a le front…

Moulineaux (brutal.)
Je ne vous parle pas, à vous !…

Yvonne
D'abord, je vous prie de parler plus poliment à ma mère.

Moulineaux
Ce sera bien pour vous, par exemple !… Eh bien ?

Yvonne
Comment, je vous surprends dans un magasin de couture en tête à tête avec une femme, l'étreignant contre votre poitrine.

Moulineaux (vivement.)
Pardon, elle n'était pas à moi !

Yvonne
Qui ?

Moulineaux
La femme ! On venait de me la passer.
(Il accompagne sa phrase d'une mimique explicative.)

Yvonne
Vraiment, et c'est pour cela que vous la serriez dans vos bras ?

Moulineaux
Moi ? oh ! non, si tu avais regardé… je ne serrais pas !

Yvonne
Je vous dis que vous la serriez dans vos bras et elle s'y trouvait mal !…

Moulineaux (saisissant la balle au bond.)
Ah ! tu vois bien !… elle s'y trouvait mal !… Voilà qui te prouve suffisamment…

Yvonne
Allons donc !… vous courez après les couturières.

Madame Aigreville
Et vous me les présentez comme des clientes !…

Moulineaux (avec volubilité passant au 2.)
Mais non, ça, c'est autre chose ! Ne mêlons pas. (À madame Aigreville.)
. La femme que vous avez vue, c'est madame Aubin, la femme de M. Aubin. Tandis que l'autre…

Madame Aigreville (aigre.)
C'est la femme à qui ? (n° 1)
.

Moulineaux (vivement.)
À M. Aubin.

Madame Aigreville (même jeu.)
Oui ? Alors il est bigame !

Moulineaux (même jeu.)
Voilà !… Euh, mais non, mais non ! oh ! il n'y a pas moyen de s'entendre ! (À madame Aigreville.)
Aussi c'est vous qui embrouillez les choses. De quoi vous mêlez-vous, après tout ! Est-ce que ça vous regarde ?

Madame Aigreville
Comment, de quoi je me mêle !

Moulineaux (furieux.)
Vous vous immiscez là dans notre vie privée !… Ce n'est pas vous que j'ai épousée, n'est-ce pas ? Donc, je n'ai d'explications à donner qu'à ma femme et je n'ai pas besoin de vous.

Madame Aigreville
N'espérez pas que je vous laisse avec Yvonne !… Merci ! la pauvre enfant, dans vos filets !

Moulineaux (haussant les épaules, exaspéré.)
Dans mes filets ! dans mes filets !… Les grands mots !… Je vous dis que je veux causer seul avec ma femme, il me semble que j'en ai le droit !

Madame Aigreville
Non !

Moulineaux (la voix rauque, étouffant un cri de rage.)
Oh !
(On sent qu'il est sur le point d'étrangler sa belle-mère, il se réprime,)
(il remonte au fond à grands pas, puis redescend à l'extrême gauche.)

Yvonne
Ma mère, consentez à ce qu'il demande. Que monsieur n'ait rien au moins à nous reprocher !

Madame Aigreville
Mais je te connais, tu vas te laisser entortiller !

Yvonne
Ne craignez rien !

Madame Aigreville
Soit, je vous laisse. Vous ne direz pas que je n'y mets pas du mien. Et toi, ne plie pas !… (À part.)
Ah ! la pauvre enfant ! dire que si je n'étais pas là, elle serait déjà réconciliée !… (Faisant la moue à Moulineaux.)
Hou !
(Elle sort 2e plan à gauche.)

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