ACTE II - Scène VIII


Madame Aigreville
L'entresol ! C'est bien ici.
(Bassinet se lève.)

Moulineaux (sursautant.)
Ma belle-mère, à présent !

Suzanne (furieuse.)
Encore quelqu'un ! Ah, ça ! c'est une gageure !

Madame Aigreville (entrant et voyant Bassinet.)
Ah ! le contagieux ! (Haut.)
Je viens pour visiter votre entresol.

Bassinet
Diable ! C'est que je vais vous dire : il est loué !

Madame Aigreville
Loué ! Comment, vous m'avez dit… (En se retournant elle aperçoit Moulineaux.)
Tiens ! mon gendre !

Moulineaux (très aimable.)
Lui-même, belle-maman !

Madame Aigreville (voyant Suzanne, sévère.)
Que faites-vous ici ? J'ai le droit de le savoir.

Moulineaux
Ah ! mais…

Madame Aigreville
Vous refusez de parler ?… prenez garde, j'ai le droit de supposer des choses !…

Moulineaux (avec aplomb.)
Eh ! bien, quoi ? Je suis chez madame, une cliente, une malade.

Madame Aigreville
Hein ?

Moulineaux (haut, à Suzanne, en lui faisant signe du coin de l'œil.)
N'est-il pas vrai, madame, que vous êtes ma cliente ?

Madame Aigreville (vivement, très aimable.)
Oh ! mais je n'en ai jamais douté, chère madame !

Suzanne (jouant son rôle de maîtresse de maison.)
Et puis-je savoir, madame, ce qui me vaut l'honneur…

Madame Aigreville (très embarrassée.)
Mon Dieu, madame, excusez-moi, j'étais en quête…

Suzanne (avec un sérieux moqueur.)
Ah ! ceci est autre chose les dames patronnesses sont les bienvenues auprès de moi. Voici cinq francs !

Madame Aigreville (ahurie.)
Hein ? elle me donne de l'argent !

Moulineaux
Vous n'avez pas de honte de vous faire donner de l'argent dans les maisons ?

Bassinet (entre ses dents.)
Voyez-vous ça ! la vieille carottière !

Madame Aigreville
Mais je n'ai rien demandé !… reprenez cela, madame, je ne suis pas en quête de cent sous, je suis en quête d'un appartement.

Suzanne
Oh ! pardonnez-moi, madame…
(Madame Aigreville tend la pièce à Moulineaux pour qu'il la passe à Suzanne, Moulineaux la met machinalement dans sa poche.)

Suzanne (à Moulineaux après avoir vu ce jeu de scène.)
Eh bien !…

Moulineaux (rendant la pièce.)
Oh ! pardon !

Suzanne (avec aplomb.)
Mais alors, présentez-nous.

Moulineaux (ahuri)
Hein ! il faut que… (Suzanne lui fait signe que oui. Présentant.  — Avec aigreur.)
Madame Aigreville, ma belle-mère.(Avec une certaine volupté dans la voix.)
Madame Aubin, madame Suzanne Aubin.

Madame Aigreville
Suzanne Aubin ?… Oh ! mais j'ai beaucoup entendu parler… Et ces messieurs vont bien ?

Suzanne (qui ne comprend pas.)
Quels messieurs ?

Madame Aigreville
Les deux vieillards ! (Montrant Bassinet.)
Monsieur est sans doute un des deux ?
(Ahurissement général.)

Moulineaux (vivement.)
Mais vous commettez un anachronisme épouvantable !

Madame Aigreville (vivement.)
Oh, madame, je le retire. (Cherchant à changer la conversation.)
Ainsi, c'est mon gendre qui vous soigne ?

Suzanne (embarrassée.)
Mon Dieu ! oui, moi. (Vivement.)
Et mon mari aussi.

Madame Aigreville
Ah ! ça me fait bien plaisir. Qu'est-ce qu'il a monsieur votre mari ?

Moulineaux (vivement.)
Un eczéma… un eczéma impetigineux compliqué de desquamation de l'épiderme, vous savez des… des suites de couches.

Madame Aigreville
Hein !… des couches, lui !…

Moulineaux (se reprenant.)
Pas lui, sa femme !

Suzanne
Hein ! moi ?…

Madame Aigreville
Comment, madame, vous êtes mère ?

Suzanne
Mais du tout, madame !
Moulineaux (barbotant.)
 :  
Mais non, pas elle, lui !… non enfin, son mari. Comprenez-moi bien, son mari se l'était figuré !… Alors quand il a appris que non… n'est-ce pas ?… la… la… l'émotion, le trouble !… son sang n'a fait qu'un tour !… un petit tour ! … enfin, il a eu un eczéma. Voilà !… ouf !… Et maintenant, belle-maman, si vous voulez me laisser à ma consultation.

Madame Aigreville (remontant.)
Parfaitement !… Je vous quitte. Si ma fille venait, vous lui diriez que je suis partie.

Moulineaux (l'accompagnant.)
Entendu. Au revoir, chère belle-maman !

Madame Aigreville (sur le seuil de la porte.)
Oh ! ne soyez pas si aimable, je n'oublie rien. (Digne.)
Seulement, je sais me tenir devant le monde.

Moulineaux (très aimable.)
J'aurai soin d'en inviter toujours beaucoup, belle-maman. Tenez, par là.

Madame Aigreville (faisant une révérence.)
Au revoir, chère madame !

Suzanne (saluant.)
Madame.

Moulineaux (qui est resté sur le palier, apercevant Aubin qui remonte, bondissant.)
Allons, bon ! le mari ! (À Suzanne.)
Votre mari qui revient !…

Suzanne (effarée.)
Oh ! mon Dieu !
(Elle sort vivement par la gauche.)

Madame Aigreville (ahurie, à Moulineaux qui veut la faire entrer à gauche également.)
Qu'est-ce que c'est ?

Moulineaux
Rien. Entrez là avec madame.
(Il pousse madame Aigreville absolument ahurie, dans la pièce de gauche.)

Bassinet (suivant Moulineaux qui est déjà entré à gauche à la suite de madame Aigreville et de Suzanne.)
Il faut que j'entre aussi ?

Moulineaux (passant la tête par l'entrebâillement de la porte, à Bassinet.)
Non, vous, vous allez recevoir ce monsieur. Il me demandera, moi, M. Machin ; parce que, pour lui, je suis M. Machin. Vous lui direz n'importe quoi… que je suis occupé, que je suis en conférence avec… avec la Reine du Groënland si vous voulez, ça m'est égal, mais que je ne le voie pas !…
(Il referme brusquement la porte au nez de Bassinet.)

Bassinet
Entendu !… C'est un raseur, hein !… Je connais ça !…

Autres textes de Georges Feydeau

Un fil à la patte

"Un fil à la patte" est une comédie en trois actes de Georges Feydeau. Elle raconte l'histoire de Fernand de Bois d'Enghien, un homme qui souhaite rompre avec sa maîtresse,...

Un bain de ménage

"Un bain de ménage" est une pièce en un acte de Georges Feydeau. Elle se déroule dans un vestibule où une baignoire est installée. La pièce commence avec Adélaïde, la...

Séance de nuit

(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...

Par la fenêtre

Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...

On va faire la cocotte

La chambre à coucher des Trévelin. Lit de milieu, au fond, face au public. A droite du lit, une table-guéridon tenant lieu de table de nuit ; sur ce guéridon, un...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024