ACTE I - Scène X
(Une pause pendant laquelle Moulineaux s'endort. Au bout d'un instant, on sonne. Bruit de coulisse.)
Madame Aigreville (dans la coulisse.)
Ma fille ! mon gendre ! je veux les voir.
Etienne (entrant comme une bombe.)
Monsieur, c'est madame votre belle-mère !… (Il gagne l'appartement d'Yvonne, parlant à Yvonne dans la coulisse)
Madame, c'est madame Aigreville !
Madame Aigreville (faisant irruption par le fond, un sac de nuit à la main, qu'elle pose au fond.)
Ah ! mes enfants, mes enfants ! (Au milieu)
Yvonne (sortant deuxième plan gauche.)
Maman, maman !
Moulineaux (réveillé en sursaut, n° 3.)
Hein ! qu'est-ce que c'est ?… une trombe ? (Ahuri.)
Ma belle-mère !
Madame Aigreville (n° 2.)
Moi-même.
Moulineaux
Ah ! que c'est bête de vous réveiller comme ça !
Madame Aigreville (embrassant Yvonne.)
Ma fille !… Mon gendre !… Eh bien !… vous ne m'embrassez pas ?
Moulineaux
Comment donc !… j'allais vous le demander ; mais vous comprenez, la surprise, l'ahurissement quand on s'est endormi sans belle-mère… et qu'on en trouve une à son réveil !… il y a toujours un moment… Embrassez-moi, belle-maman…(Madame Aigreville lui passe ses bras autour du cou.)
Oh ! mais ne me secouez pas trop… parce que quand on vient de dormir…
Madame Aigreville
Vous venez de dormir ?
Moulineaux
À peine.
Madame Aigreville
Ca se voit !… vous avez la figure d'un homme qui a trop dormi !…
Moulineaux
Allons donc !… Eh ! bien, vrai ! vous êtes physionomiste.
Madame Aigreville (éclatant en sanglots.)
Ah ! mes enfants !… mes enfants ! que je suis heureuse de vous revoir.
Moulineaux
Eh bien ! qu'est-ce qui vous prend ! (À part.)
Elle a le retour mouillé, belle-maman !
Yvonne
Ne pleure pas, maman !
Madame Aigreville (sanglotant.)
Je ne pleure pas.
Moulineaux (à part.)
Non, merci ! Elle pleut !
Madame Aigreville
C'est l'émotion de vous revoir !… Ce cher Moulineaux, il a maigri, il a maigri. (À Yvonne.)
Il est vrai que de ton côté, au contraire… Ah ! Moulineaux, le mariage a du bon !… Pourquoi êtes-vous en habit noir, vous allez à un enterrement ?
Moulineaux (vivement.)
Oui ! c'est… c'est pour vous.
Madame Aigreville
Hein !
Moulineaux (se reprenant.)
Pour vous faire honneur !
Yvonne
C'est-à-dire que monsieur a veillé un de ses malades !… un malade qui a une agonie chronique !
Moulineaux (se reprenant.)
Voilà !
Madame Aigreville
Vous êtes donc médecin de nuit, vous ?
Moulineaux
Non… mais quand il y a des bals… (Se reprenant.)
des balades… un médecin se doit à ses balades !…
Madame Aigreville
Vous êtes enrhumé…
Moulineaux
Un peu… oui !…
Madame Aigreville
Yvonne, tu ne fais pas de tisanes à ton mari ?
Yvonne (sèchement)
Mon mari n'a qu'à se faire soigner chez ses malades… dans ses consultations chorégraphiques !
Madame Aigreville
Oh ! mais que tu es donc âcre avec ton mari ! (Elle prononce "câcre")
.
Moulineaux (vivement.)
N'est-ce pas qu'elle est câcre ! horriblement câcre !
Madame Aigreville
Est-ce qu'il y aurait de la brouille ?
Moulineaux
Non, mais il a des gens qui se lèvent mal !
Yvonne
Et d'autres qui ne se lèvent pas du tout !…
Moulineaux (au public.)
C'est pour moi, ça. Attrape !
Madame Aigreville
Là, là, calmez-vous ! Ah ! pour empêcher la discorde entre époux, il n'y a qu'une belle-mère…
Moulineaux (à part.)
Oui, c'est un dérivatif.