ACTE I - Scène XVI


Madame Aigreville
Ton mari !… Laisse-moi faire.
(Yvonne sort.)

Moulineaux (à part.)
Allons ! j'espère que tout est au mieux, belle-maman lui aura fait entendre raison.

Madame Aigreville
Moulineaux !

Moulineaux (très aimable.)
Mère de ma femme !

Madame Aigreville
Je n'irai pas par quatre chemins. Connaissez-vous ce gant ?

Moulineaux
Si je… ah bien ! ce que je l'ai cherché celui-là !
(Il veut le prendre.)

Madame Aigreville (lui donnant un coup sur la main avec le gant.)
Pas touche ! à qui est-il ce gant ?

Moulineaux
Hein… je… à qui ? (Avec aplomb.)
À moi !

Madame Aigreville
À vous ? de cette taille-là ?…

Moulineaux
Euh !… c'est pour rapetisser la main, vous savez, en ramenant le pouce et en allongeant les doigts, comme ça, tenez !…

Madame Aigreville (haussant les épaules.)
Allons donc ! c'est un gant de femme.

Moulineaux (avec aplomb.)
Ca a l'air… parce qu'il a été mouillé. Il a plu dessus, alors il a rétréci.

Madame Aigreville (déployant le gant dans toute sa longueur.)
Et la longueur ?

Moulineaux
Précisément, il a rétréci et allongé… C'est l'eau ! il a gagné en longueur ce qu'il a perdu en largeur, ça fait toujours cet effet-là. Ainsi vous, vous seriez mouillée…
(Il fait du geste la représentation d'une chose très étroite et très longue.)

Madame Aigreville
Hein ! allons ! Voyons, c'est marqué… six et demi.

Moulineaux (avec aplomb.)
Neuf et demi, c'est l'eau qui a retourné le chiffre.

Madame Aigreville
Moulineaux, vous me prenez pour une bête !

Moulineaux
Non, pas tant ! pas tant !

Madame Aigreville (se montant)
Voulez-vous que je vous dise vous êtes un mari abominable !… Vous vous conduisez comme un débauché !…

Moulineaux
Moi ?

Madame Aigreville
Oui, débauché !… Vous passez les nuits dehors, et l'on trouve des gants de femme dans votre poche !…

Moulineaux
Puisque c'est l'humidité !

Madame Aigreville (marchant sur lui.)
Ah ! Moulineaux, si vous trompiez ma fille… vous savez que vous auriez affaire à moi… !

Moulineaux
Permettez !

Madame Aigreville (même jeu.)
Vous savez que vous êtes marié.

Moulineaux (entre ses dents.)
Oh ! elle m'ennuie.

Madame Aigreville
Par conséquent, vous nous avez juré fidélité.

Moulineaux
Permettez, pas à vous !

Madame Aigreville (même jeu.)
Vous savez que d'après le code, la femme doit suivre son mari ; par conséquent, nous vous suivrons !

Moulineaux
Oh ! pardon, le code dit "La femme" mais pas la belle-mère !

Madame Aigreville
C'est qu'il n'y a pas pensé ! Gendre dénaturé, vous voudriez donc séparer une fille de sa mère ?

Moulineaux (éclatant.)
Eh ! allez au diable !

Madame Aigreville (reculant.)
Hein !

Moulineaux
Vous êtes là à m'asticoter !… Après tout… je suis maître de mes actes. Je n'ai de comptes à rendre à personne et vous me rompez la tête !

Madame Aigreville
Moi, je… oh !

Moulineaux (furieux.)
Oui, là, allez vous promener !

Madame Aigreville
Et l'on dit que ce sont les belles-mères qui commencent ! Ah ! tenez, vous me feriez croire que je suis de trop dans cette maison !…
(Elle remonte vers le fond.)

Moulineaux (remontant également.)
Ah ! il est certain que si vous devez être une cause de discorde…

Madame Aigreville (dramatique.)
C'est cela, vous me chassez !… vous me chassez de chez ma fille !

Moulineaux
Moi !

Madame Aigreville (même jeu.)
C'est bien, vous n'aurez pas à me le répéter deux fois !…

Moulineaux (levant les bras sur elle.)
Ah ! tenez, je… non… j'aime mieux me retirer. Cette femme-là, elle exaspérerait… le Président de la République !
(Il sort par la droite premier plan.)

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