ACTE II - Scène XI
Aubin
Eh bien ! elle est très bien, la grosse reine ! Qui est-ce qui dirait tout de même, à la voir comme ça… Elle a l'air d'une bonne petite mère et puis pas fière. (Paraît Moulineaux.)
Ah ! vous voilà !…
(Il redescend.)
Moulineaux
Lui !… Encore là ! (Voyant Suzanne qui entre à sa suite, il la repousse dans la chambre et ferme brusquement la porte sur elle.)
Rentrez.
Aubin (se retournant.)
Qu'est-ce qu'il y a.
Moulineaux (bien innocent.)
Hein ! Rien !
Aubin
Dites-moi, ma femme est partie ?
Moulineaux
Oh ! depuis longtemps. Elle m'a dit : Si mon mari vient, dites-lui que je suis au Louvre. Si vous voulez la retrouver.
Aubin (l'entraînant à l'avant-scène.)
Non, au contraire !… ça va bien comme ça, parce que, je vais vous dire, il y a une dame… une dame de mes amies qui doit venir me reprendre ici.
Moulineaux
Ici ? (À part.)
Ah, çà ! il donne ses rendez-vous chez moi ?
Aubin
Et j'aimerais autant qu'elle ne se croisât pas avec ma femme.
Moulineaux
Oh ! parfaitement !… une intrigue, hein ?
Aubin (riant)
Petite, une petite intrigue. Il est donc inutile que ma femme…
Moulineaux (avec intention.)
Oui, elle n'aurait qu'à vous infliger la peine du talion !…
Aubin (avec conviction.)
Oh ? impossible !
Moulineaux (avec une crédulité railleuse.)
Ah !
Aubin
Oh ! c'est que j'ai l'œil, moi ! toute ma vie j'ai eu des intrigues avec des femmes mariées : on ne m'en conte pas à moi, je les connais toutes !
Moulineaux (même jeu.)
Ah ! vous…
Aubin (net.)
Toutes !… je ne suis pas comme un tas d'imbéciles de maris. (Riant.)
Figurez-vous que j'en ai connu un qui accompagnait sa femme à tous nos rendez-vous. Elle disait qu'elle montait chez la somnambule. C'était moi la somnambule !… Et le mari attendait en bas.
(Il se tient les genoux pour rire.)
Moulineaux (riant aussi en lui tapant sur l'épaule.)
Le fait est qu'on n'est pas bête comme ça !…
Aubin
D'ailleurs ma femme ne s'y frotterait pas. Elle sait très bien que dans un flagrant délit, je n'hésiterais pas.
Moulineaux (anxieux.)
Un duel, hein ?
Aubin
Non, je ne sais pas me battre. (Moulineaux pousse un soupir de soulagement.)
Je tirerais dessus !… Toutes les fois que je le rencontrerais, pan, pan ! je le tuerais.
Moulineaux
Il me donne le frisson.
Aubin
D'ailleurs ce n'est pas pour vous parler de ça que je suis venu !… (Changeant de ton.)
Monsieur Machin !
Moulineaux (qui n'y est déjà plus.)
Monsieur Mach… ? Ah oui ! (Sur le même ton qu'Aubin.)
Monsieur Aubin ?
Aubin
Monsieur Machin, vous allez être rudement content !
Moulineaux
Ah ! vraiment je. (À part)
Il me fait peur.
Aubin
Savez-vous ce que je vous amène ? (Moulineaux fait signe que non)
Une cliente.
Moulineaux (reculant.)
Une cliente ! pourquoi faire ?
Aubin
Pour lui faire des robes.
Moulineaux
Hein ! encore !… Eh ! bien, elle est jolie votre idée !
Aubin (satisfait.)
Je n'en ai jamais que de comme ça.
Moulineaux (s'oubliant.)
Ah ! bien, merci !… Vous croyez donc que je n'ai que ça à faire. Eh ! bien, et ma médecine ?
(Il se mord les lèvres en voyant l'impair qu'il a commis.)
Aubin
Quoi ! votre médecine ?… Est-ce que cela vous empêche de vous purger, ça ?
Moulineaux
Hein ?
Aubin (se montant un peu.)
On n'a jamais vu un commerçant se plaindre d'avoir trop de clientèle
Moulineaux
Je ne vous dis pas !
Aubin (même jeu.)
Et ce n'est pas parce que vous faites des robes à des têtes couronnées !…
Moulineaux
Moi ! je fais des robes à des têtes ?…
Aubin
Enfin, êtes-vous couturier, oui ou non ?
Moulineaux (gagne l'extrême gauche.)
Hein ! moi, oui, je crois bien que je suis couturier ! (À part.)
Merci, si je ne l'étais pas il me tuerait.