ACTE I - Scène VIII


Etienne (au fond.)
Monsieur a sonné ?

Moulineaux (bas à Étienne.)
Oui, je vous en prie, débarrassez-moi de ce monsieur ! Dans cinq minutes sonnez, apportez-moi une carte de visite, n'importe laquelle… et dites que c'est une personne qui demande à me parler. Ca le fera partir.

Etienne
Compris ! Le remède contre les raseurs !
(Il sort.)

Bassinet
Vous savez qu'il y a un an, à la suite de mon héritage.

Moulineaux
Votre héritage ?

Bassinet (se levant.)
Oui, le montant de mon oncle, que j'ai réalisé… J'ai acheté une maison à Paris, 70, rue de Milan… Or, mes appartements ne se louent pas… (Il se lève.)
Alors je suis venu… comme vous voyez pas mal de clients… Pour vous demander de tâcher de m'en faire louer quelques-uns…
(Il lui donne des cartes-prospectus.)

Moulineaux (furieux. passe au 1.)
Hein ! et c'est pour cela que vous me poursuivez jusqu'ici ?

Bassinet (il passe au 2.)
Attendez donc !… ne vous fâchez pas !… vous n'aurez rien à y perdre !… Mes appartements sont très malsains. J'entretiendrai votre clientèle !

Moulineaux (éclatant.)
Eh ! allez au diable !… Si vous croyez que je vais recommander vos appartements malsains !…
(Il passe.)

Bassinet (vivement.)
Pas tous !… Ainsi, j'ai un petit entresol, tout meublé. Une occasion !… C'était une couturière qui l'habitait. Elle a délogé sans payer !… C'est même une histoire assez drôle ! Figurez-vous que la couturière…

Moulineaux
Eh ! je m'en moque de votre histoire, de votre appartement et de votre couturière. Qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse de votre couturière ?

Bassinet
Permettez, ce n'est pas de la couturière…

Moulineaux
Eh ! je sais bien, mais vous auriez pu choisir un autre moment pour m'en parler. Quand je pense que pendant ce temps ma femme, ma pauvre femme…
(Il remonte à gauche.)

Bassinet (amer.)
Ah ! c'est vrai ! Vous êtes marié vous ! Moi, hélas ! j'ai perdu ma femme.

Moulineaux (distrait.)
Allons ! tant mieux, tant mieux !
(Il est presque au fond, vis-à-vis la porte par laquelle est sortie Yvonne.)

Bassinet
Comment tant mieux ?

Moulineaux (se reprenant.)
Je veux dire, tant pis, tant pis ! (Il redescend à droite.)

Bassinet (amer.)
Vous ne le croiriez pas, ce que c'est que la vie !… Elle m'a été enlevée dans l'espace de cinq minutes !

Moulineaux (ennuyé.)
Enlevée ! Par une attaque d'apoplexie ?

Bassinet
Non ! par un militaire. Je l'avais laissée sur un banc aux Tuileries. Je lui avais dit attends-moi, je vais jusque chez le marchand de tabac pour allumer un cigare. Je ne l'ai jamais retrouvée ! (On sonne.)
On a sonné !

Moulineaux (à part.)
C'est Étienne.
(Il remonte.)

Etienne
Monsieur, c'est un monsieur qui demande à vous parler. Voici sa carte.

Moulineaux (échangeant un sourire d'intelligence avec Étienne.)
Voyons… ah ! parfaitement !… (À Bassinet.)
Je vous demande pardon, monsieur Bassinet, c'est un raseur, mais je ne peux faire autrement que de le recevoir.

Bassinet
Un raseur !… Ah ! je connais ça, faites-le entrer !… (S'asseyant à droite.)
Je vais rester là, ça le fera partir.

Moulineaux (à part.)
Hein ? Comment, il va rester là ! quelle colle ! (Haut.)
C'est qu'il veut me parler en particulier…

Bassinet
Ah ! c'est autre chose. Qu'est-ce que c'est que ce raseur ?… (Prenant la carte des mains de Moulineaux.)
Chevassus !… Ah ! c'est Chevassus, je le connais très bien ! Je serai enchanté de lui serrer la main !… Je m'en irai après.

Moulineaux (interloqué.)
Hein !… Non vous ne pouvez pas !… Ca n'est pas lui, c'est… son père.

Bassinet
Il n'en a jamais eu.

Moulineaux
Alors c'est son oncle, et il désire ne pas être vu. Allez ! allez !… (Il le fait lever.)

Bassinet
Ah ! très bien(Il fait mine de sortir au fond, puis, arrivé à la porte, il se dérobe, et se dirige vers la porte de droite deuxième plan.)
Dites donc, je vais attendre dans la pièce à côté. (Il sort.)

Moulineaux
Comment ! il ne s'en ira pas ! Ah ! ma foi, tant pis, je l'y ferai droguer toute la journée !

Bassinet (reparaissant à la porte.)
Au fait ! une idée. S'il vous embête, votre raseur, j'ai un moyen de vous en débarrasser. Je sonnerai, je vous ferai passer ma carte et vous direz que c'est un raseur que vous êtes obligé de recevoir !…

Moulineaux
Oui, oui, c'est bon, allez ! allez ! Si vous êtes fatigué, dormez, il y a une chaise longue.
(Bassinet sort.)

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