ACTE II - Scène IV


Pomponnette (venant au 3.)
Bonjour, messieurs, madame !

Suzanne
Une femme !

Moulineaux (ahuri.)
Qu'est-ce que c'est que celle-là ?
(Moment de silence, on se regarde d'un air interrogateur.)

Pomponnette
Madame Durand n'est pas là ?

Moulineaux
Madame Durand ?… (Il regarde successivement Suzanne et Aubin, puis après un silence.)
Non, elle n'est pas là, madame Durand !

Pomponnette
Ah ! c'est que j'aurais voulu la voir pour ma facture.

Moulineaux
La facture !… Quelle facture ?

Pomponnette
La facture des toilettes que madame Durand m'a livrées.

Moulineaux
Ah ! parfaitement, madame Durand. C'est la couturière !

Aubin
Vous ne la connaissez donc pas ?…

Moulineaux (vivement.)
Comment donc, si fait !… Si je la connais, cette bonne madame Durand !… c'est mon associée ! (À part.)
Bassinet aurait pu me dire qu'elle n'avait pas emmené sa clientèle. Ce sera gai, s'il en vient beaucoup comme ça !

Pomponnette
Ah ! bien ! si vous êtes son associé, je puis m'adresser à vous. Je suis mademoiselle Pomponnette.

Moulineaux (après un temps.)
Il n'y a pas de mal à ça.

Pomponnette
Je voudrais que vous me fissiez une diminution sur ma facture. Vous me comptez beaucoup trop cher !

Moulineaux
Comment donc ! tant que vous voudrez ! (À part.)
Pour ce que cela me coûte !… ça la fera filer.
(Il tire un crayon de sa poche.)

Pomponnette (lui montrant sa facture.)
Tenez, voyez. Trois cent quarante francs, c'est énorme pour la petite toilette que vous m'avez faite. Vous savez, la toilette en crêpe de chine ?

Moulineaux
Parfaitement !… En crêpe de chine. Je la vois… je la vois, votre chine.

Pomponnette
C'est hors de prix.

Moulineaux
Ca, c'est vrai, c'est hors de prix !… du vulgaire crêpe !… c'est indécent. Qu'est-ce que vous voulez que je vous diminue sur trois cent quarante francs ?

Pomponnette
Je ne sais pas, mais il me semble que trois cents francs c'est suffisant.

Moulineaux (sans façons.)
Mais je crois bien. Alors nous disons que nous supprimons trois cents francs, reste quarante ; c'est bien ce que vous voulez ?

Pomponnette
Comment ? mais vous vous trompez !

Moulineaux
Mais non ! je suis rond en affaires, moi !…

Pomponnette
Ah ! bien, je vous remercie. Je n'aurais jamais cru qu'on me diminuerait tant que ça.
(Elle remonte.)

Aubin (riant, au public.)
Faut-il qu'ils soient voleurs tout de même, tous ces gens-là, pour faire des rabais pareils !

Pomponnette
Au revoir, monsieur, je reviendrai.

Moulineaux
Ah ! non, non, c'est pas la peine !
(Pomponnette sort.)

Aubin (se levant.)
Sapristi ! une heure et demie !… Je m'en vais aussi. (À part.)
Rosa m'attend, je n'ai que le temps. (Haut.)
Je vous laisse ma femme, occupez-vous d'elle. Faites quelque chose de distingué ! et puis, moulez bien. Prenez-lui bien les hanches,… la poitrine.

Moulineaux
Hein ! comment, c'est lui qui…

Aubin
Allons, au revoir !
(Il sort.)

Autres textes de Georges Feydeau

Un fil à la patte

"Un fil à la patte" est une comédie en trois actes de Georges Feydeau. Elle raconte l'histoire de Fernand de Bois d'Enghien, un homme qui souhaite rompre avec sa maîtresse,...

Un bain de ménage

"Un bain de ménage" est une pièce en un acte de Georges Feydeau. Elle se déroule dans un vestibule où une baignoire est installée. La pièce commence avec Adélaïde, la...

Séance de nuit

(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...

Par la fenêtre

Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...

On va faire la cocotte

La chambre à coucher des Trévelin. Lit de milieu, au fond, face au public. A droite du lit, une table-guéridon tenant lieu de table de nuit ; sur ce guéridon, un...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024