ACTE II - Scène II
Suzanne (entrant du fond.)
C'est moi.
Moulineaux
Suzanne !
Suzanne (voulant refermer la porte.)
Tiens ! ça ne ferme pas.
Moulineaux (qui est remonté au-devant de Suzanne.)
Ca ne fait rien. Je vais mettre une chaise contre la porte.
(Il place la chaise.)
Suzanne
On peut entrer, il n'y a pas de danger ?
Moulineaux (redescendant avec elle.)
Quel danger voulez-vous ?
Suzanne
Ah ! c'est que si on nous voyait !… Je serais bien coupable !
Moulineaux (à part.)
Charmante morale ! (Haut.)
Nous sommes absolument seuls, ma Suzanne. Venez là, près de moi.(Il s'assied sur le canapé et lui prend les deux mains.)
Ne tremblez donc pas ainsi !
Suzanne
Oh ! ça passera. Mon mari, qui a été soldat… dans la réserve de l'administration, dit que les plus braves tremblent toujours au premier feu, et puis ça passe !
Moulineaux
Ah ! il dit que… Eh ! bien, vous voyez !… voyons, débarrassez-vous de votre chapeau.
Suzanne
Oh ! non, impossible. Je ne peux rester qu'un instant avec vous. Anatole est en bas ; il n'aurait qu'à monter.
Moulineaux (stupéfié.)
Anatole ?
Suzanne
Oui, mon mari. Il a encore tenu à m'accompagner.
Moulineaux
Comment ! alors vous lui avez dit…
Suzanne
Oui.
Moulineaux (très vexé.)
Mais c'est très bête !… Ca ne se fait pas, ces choses-là !
Suzanne
Je lui ai dit… je lui ai dit que j'allais chez mon couturier. Comme je savais que c'était justement l'ancien logement d'une couturière, alors cela m'a suggéré l'idée…
Moulineaux
Ouf ! vous me retirez un poids.
Suzanne
Ca m'ennuyait bien qu'il m'accompagnât, mais lui refuser eût été lui donner des soupçons… et d'un autre côté, je ne voulais pas vous faire poser. C'est gentil, hein ?
Moulineaux
Ah ! bien, je crois bien !… cette chère Suzanne ! (À part.)
C'est égal, l'idée qu'Anatole est en bas, ça me glace !… (Haut et distrait.)
Cette chère Suzanne !…
Suzanne (souriant.)
Vous l'avez déjà dit, mon ami !
Moulineaux (balbutiant.)
Vous croyez ?… C'est possible. Cette chère Suzanne !…
Suzanne (même jeu.)
Ca fait quatre
Moulineaux
Ca fait quatre, parfaitement ! Cette chère… non… non.
Suzanne (redevenant sérieuse.)
Dites-moi que ce n'est pas une grande folie que je fais.
Moulineaux (ennuyé.)
Mais non, mais non.
Suzanne
Vous savez que c'est la première fois…
Moulineaux
Oui, je sais. (À part.)
On n'a pas idée de ce que ce mari me gêne. Il me semble que je roucoule au-dessus d'un précipice.
Suzanne
Eh ! bien, mon ami, êtes-vous heureux ?
Moulineaux
Moi… je… comment donc !… Si je suis heureux !… comment donc ! (Chantonnant avec un air de prostration complète.)
Comment donc ! Comment donc ! Comment donc ! Comment donc ! (À part, après un moment de réflexion.)
C'est égal ! C'est cher ce petit appartement ! Deux cent cinquante francs par mois !
Suzanne
À quoi pensez-vous donc ?
Moulineaux
Moi ?… à rien. Euh ! à vous, à vous !
Suzanne
Je vous trouve froid ! Je suis sûre que vous me méprisez !
Moulineaux (s'exaltant à froid.)
Ah ! Suzanne ! pouvez-vous dire ça !… mais je voudrais passer ma vie à vos genoux !…
Suzanne
Oh ! vous dites ça !
Moulineaux (se mettant à genoux.)
Tenez, la preuve…