Acte III - Scène XII



Les Mêmes, Duchotel, Cassagne

Duchotel(entrant de droite suivi de Cassagne.)
Voici M. Cassagne !

Cassagne(passant devant Duchotel et allant à Bridois.)
Ah ! monsieur le Commissaire, si je vous ai prié de venir ici, c'est que je tenais à ce que l'affaire s'instruisît devant mon bon ami Duchotel.

Duchotel(droite de la scène, à Léontine, gauche de la scène.)
Tu vois !…

Bridois
Et j'y ai souscrit d'autant mieux que j'y ai été sollicité par l'inculpé lui-même, lequel se défendant énergiquement de l'accusation portée contre lui m'a assuré que précisément ici, nous connaîtrions le véritable coupable.

Moricet
Parfaitement dit !
(Il remonte.)

Cassagne(répétant inconsciemment après Moricet.)
Parfaitem… (S'apercevant que c'est Moricet qui vient de parler. À part.)
Ah ! çà ! de quoi se mêle-t-il, le marchand de camisoles ?

Duchotel
Eh bien ! c'est ça ! (À Léontine ne se souciant pas de la voir assister à l'entretien.)
Dis donc, ma chère Léontine, il s'agit d'une affaire personnelle à M. Cassagne, donc, si tu veux nous laisser…

Cassagne(vivement et très galant.)
Oh ! mais pas du tout ! Madame n'est pas de trop ! Je vous en prie, madame !

Duchotel(à part.)
Oh ! il ne manque jamais la gaffe ! On s'assied : Léontine, à l'extrême gauche, sur la chaise près de la cheminée ; Moricet, à gauche de la table ; Bridois, à droite de la table ; Cassagne, près de Bridois ; Duchotel va prendre un siège au-dessus de la porte de droite et redescend avec pour s'asseoir à l'extrême droite. Le groupe se trouve ainsi légèrement en fer à cheval.

Bridois
Messieurs ! Est-il nécessaire de vous rappeler les faits ?… À la requête de M. Cassagne, j'ai surpris cette nuit madame Cassagne en flagrant délit d'adultère…

Cassagne(lui coupant la parole, tout en se levant.)
Pardon !

Bridois(interloqué, se levant de même.)
Monsieur ?

Cassagne
Compliments ! Je vous fais mes compliments. (S'apercevant de l'ahurissement de Bridois et en manière d'explication.)
Je suis le mari.

Bridois
Ah ! parfaitement. (Ils échangent des courbettes, puis tous deux se rasseyent. Continuant.)
Chargé de rattraper son complice, qui avait eu le temps de s'esquiver par la fenêtre et que nous savions devoir être en caleçon… au plus ! puisqu'il avait oublié son pantalon dans sa fuite, je lançai mes agents sur sa trace et cinq minutes après, ces hommes me ramenaient un individu dans la tenue précitée et qu'ils avaient arrêté dans l'appartement voisin : M. Moricet !

Moricet(protestant.)
C'est une coïncidence ! je suis victime d'une erreur judiciaire !

Cassagne(se dressant en poussant un cri de surprise.)
Ah !

Tous(tressautant.)
Quoi ?

Cassagne(à Moricet.)
Mais alors, c'est vous ?

Moricet
Moi, quoi ?

Cassagne(comme un homme qui se comprend.)
Rien ! rien ! (À mi-voix à Duchotel.)
Tu m'avais dit qu'il était chemisier.

Duchotel(debout.)
Eh ! bien, oui, dans la crainte d'une altercation ! Tu nous donnes des émotions !
(On se rassoit.)

Bridois(reprenant.)
Comme vous le voyez, M. Moricet oppose les dénégations les plus absolues aux accusations formulées contre lui, et de fait, si les apparences l'accablent, je dois dire que certaines circonstances semblent donner raison à son dire. Nous avons d'abord fait sur lui l'essai du pantalon, il ne lui va pas du tout.

Moricet
C'est probant, ça !

Bridois(se levant et prenant le paquet qu'il a posé sur la table.)
Nous avons d'ailleurs pris soin d'apporter ici cette pièce à conviction.

Duchotel(se lève et passant devant Cassagne, va vivement à Bridois.)
Mais non, c'est inutile ! Au bout du compte, quoi ? quel besoin avez-vous de connaître le complice ? Vous avez surpris madame Cassagne, vus avez trouvé un pantalon chez elle : il me semble que cela suffit.

Cassagne(debout, redescendant un peu.)
Moi, ça me suffit !

Duchotel
À moi aussi.
(Il regagne sa place en passant au-dessus de Cassagne.)

Bridois
Oui, mais pas à la loi ! Il ne suffit pas qu'une femme soit prise en tête-à-tête… avec un pantalon, pour que cela constitue un flagrant délit. (Il a développé le paquet sur ces derniers mots en tirant le pantalon qui se déroule.)
Tenez, voici l'objet !
(Tout le monde se lève sans bouger de place sauf Cassagne.)

Cassagne
Il suffit, monsieur ! Je sais ce que je voulais savoir et je vais agir à l'instant même ! Messieurs, madame, je vous salue ! (Il sort part le fond.)

Duchotel(à part.)
Oh ! devant ma femme ! Elle va le reconnaître ! (Regardant Léontine qui, à la vue du pantalon, a eu une mimique significative et les bras croisés, hochant la tête, avec un air narquois, dévisage son mari.)
Ca y est !

Bridois
Il s'agit de trouver maintenant le propriétaire de ce vêtement.
(Geste de Léontine à Duchotel signifiant : "Parbleu, il est à toi. " Geste de protestation de Duchotel. Haussement d'épaules de Léontine incrédule. Nouveau geste de protestation de Duchotel.)

Bridois(remarquant leur pantomime.)
Comment ?

Duchotel et Léontine
Rien ! Rien !

Bridois(revenant à son sujet.)
Seulement, comment le trouver ?

Duchotel
Eh ! parbleu, on ne le trouvera pas ! Qu'est-ce que vous voulez, monsieur le commissaire, vous ne pouvez pas aller vous installer dans la rue et essayer ce pantalon à tous les gens qui passeront… C'est une affaire à classer, monsieur le commissaire.

Bridois
Permettez, monsieur, nous ne classons pas comme ça.

Duchotel(à part, dans un accès de désespoir.)
Ah ! non, non, je n'en sortirai pas.

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