Acte III - Scène V
Les Mêmes, Babet, Cassagne
Babet(annonçant du fond.)
M. Cassagne !
Duchotel(manquant de s'effondrer.)
Lui !
Léontine
Eh ! bien, sois satisfait !
Duchotel(à part.)
Oh ! l'animal.
Cassagne(entrant.)
Bonjour, madame !… Bonjour, cher ami !
Duchotel(qui est allé vivement à lui, redescendant avec lui de façon à se trouver au 2 entre Cassagne et sa femme tout en descendant.)
Ah ! c'est toi. (Bas et rapidement.)
Chut ! pas un mot !
Cassagne(qui ne comprend pas.)
À haute voix. Quoi ? Babet est sortie.
Duchotel(lui serrant les mains.)
Ah ! ce bon Cassagne ! (Bas)
Nous avons chassé ensemble !
Cassagne(haut.)
Non !
Duchotel(bas.)
Si !… Si !… (Haut, l'air dégagé.)
Et… ça va bien depuis ce matin ?
Cassagne(jovial.)
Oh ! depuis ce matin, depuis hier, depuis avant-hier…
Duchotel(avec un rire gêné.)
Oui, oui, je sais bien ! (À part.)
Est-il bête !
Léontine(allant à Cassagne en écartant son mari pour passer devant lui.)
Non, mais mon mari vous demande : depuis ce matin spécialement ! Comme il vous a vu à la chasse…
Cassagne(sans comprendre.)
Ah ?
Duchotel(lui faisant des signes derrière le dos de sa femme.)
Oui, oui, tu sais bien !… À la chasse !
Cassagne(répétant comme un homme qui ne comprend pas.)
À la chasse ?
Duchotel
Mais oui ! (Il lui fait des signes, qu'il interrompt en rencontrant le regard de sa femme qui l'observe.)
Tu te rappelles mon doublé, hein ? pan !… pan !… le coq de bruyère… et le chevreuil !
Cassagne(absolument abruti.)
Qu'est-ce qu'il chante ?
Duchotel(à Léontine, avec aplomb.)
Tu vois, il se rappelle très bien.
Léontine(remontant au-dessus de la table.)
D'ailleurs, nous avons vu le résultat de vos exploits ! (À Duchotel qui a toussé plusieurs fois pour appeler l'attention de Cassagne.)
(Elle incline la bourriche du côté de Cassagne de façon à lui en montrer le contenu.)
Cassagne(s'approchant de la table côté gauche.)
Mais c'est des pâtés !
Léontine
Eh ! bien, oui ! la chasse de mon mari !
Cassagne(riant.)
Comment, tu tires des pâtés, toi ?
Duchotel(de l'autre côté de la table, face à Cassagne.)
Hein ! mais non, tu sais bien, quoi !… le… (Changeant de ton.)
Qu'est-ce que tu as à faire l'imbécile ?
Cassagne
Ah ! mais dis donc !
Léontine
Dame ! puisque vous étiez à la chasse ensemble.
Cassagne
Moi ?
Duchotel
Mais oui.
Cassagne(redescendant.)
Mais non, madame.
Léontine(redescendant également par la gauche de la table, et sans quitter le 2.)
Non ?
Duchotel(qui et redescendu comme les autres.)
Mais si !… mais si !… (À Léontine.)
Il ne se souvient pas, c'est son coup de soleil.
Cassagne
Mon coup de soleil ?
Duchotel
Mais oui !… naturellement, tu ne t'en souviens pas non plus, de ton coup de soleil, puisqu'il t'a enlevé la mémoire. (À sa femme.)
Non, mais crois-tu que c'est triste, une infirmité pareille. (Voyant Léontine qui, adossée à la table, les bras croisés, l'écoute en hochant la tête.)
Qu'est-ce que tu as ?
Léontine
Allons donc ! Est-ce que vous croyez que je ne sais pas tout ? Est-ce que vous pensez que je m'imagine que votre chasse n'a pas été un prétexte pour abriter vos fredaines ? Mais ayez donc le courage de vos fautes, que je puisse me dire : "C'est un homme sans foi, oui !… mais du moins, c'est un homme ! "
(Elle est remontée nerveusement et va sonner à la cheminée.)
Duchotel (la suivant)
Voyons, Léontine.
Léontine
Laisse-moi, tu m'exaspères !
(Elle sort par le fond, emportant la bourriche.)