Léontine, Moricet
(Au lever du rideau, ils sont assis devant la table, Léontine à gauche, Moricet à droite en train de fabriquer des cartouches. Un temps de silence. Jeu de scène pendant lequel Moricet lève les yeux sur Léontine, puis les reporte sur ses cartouches, comme quelqu'un qui hésite à parler, puis se décidant.)
Moricet(suppliant.)
Léontine !
Léontine(faisant de la tête un signe négatif en introduisant une charge de plomb dans la cartouche qu'elle tient.)
Non !… Continuons nos cartouches… Elle passe la cartouche à Moricet. Même jeu de scène de Moricet, puis,
Moricet
Je vous en prie !
Léontine
Non, là !… (Indiquant la cartouche.)
Bourrez donc !
Moricet(bourrant avec le bourre-cartouches.)
Je bourre !… Enfin, qu'est-ce que ça vous fait, Léontine ?
Léontine(impatientée.)
Oh ! (Bien catégorique.)
Non ! non ! non ! là… vous entendez ?
Moricet(vexé, se levant.)
Allons, c'est bien ! c'est très bien ! Pour la première preuve d'amour que je vous demande…
Léontine(toujours assise, moqueuse.)
La première ? Merci, vous commencez par la dernière.
Moricet(dédaigneux.)
Ah ! si vous avez des numéros d'ordre ! (Comme très convaincu de son droit.)
Qu'est-ce que je vous demande après tout ? Une chose toute naturelle… entre gens qui sympathisent… Votre mari s'en va à la chasse… Je suis son ami, c'est tout simple que je vous demande de me consacrer votre soirée.
Léontine(railleuse.)
Comment donc !… jusqu'à demain matin.
Moricet(bien convaincu.)
… demain matin, de bonne heure !… Il faut que je sois à huit heures à mes affaires, ainsi…
Léontine(railleuse.)
Oh ! vous m'en direz tant !
Moricet(pincé.)
Léontine, vous n'avez pas confiance en moi.
Léontine
Mais, voyons, grand insensé, en admettant même que je veuille… ce que vous demandez, vous ne pensez donc pas que j'ai ma réputation à sauvegarder !… Mais qu'est-ce qu'on dirait, les domestiques, le concierge, s'ils apercevaient que je ne rentre pas ce soir ?… Quelles gorges chaudes !…
Moricet(avec dédain.)
Vous voyez toujours les choses par leur petit côté. (Il se rassied.)
Comme si une femme ne trouvait pas toujours à donner le change pour ces machines-là…
Léontine
Ah ! c'est facile, oui ! (Passant la cartouche à Moricet.)
Vingt-neuf.
Moricet(prenant la cartouche et bourrant.)
Vingt-neuf. Vous n'êtes pas sans avoir une parente à la campagne ?
Léontine
Oui, ma marraine…
Moricet
Eh bien ! votre mari s'absente, vous allez chez votre marraine.
Léontine
Oui-da ! et en chemin je bifurque, n'est-ce pas ? et je m'arrête, 40, rue d'Athènes, dans le petit pied-à-terre de M. Moricet.
Moricet(bien sincère.)
Oh ! oui !
Léontine(railleuse.)
Comment donc ! Vous me voyez allant dans votre appartement de garçon.
Moricet(avec conviction.)
Très bien !
Léontine(même jeu.)
Tenez, vous m'amusez.
Moricet(comme un argument sans réplique.)
Ah ! que c'est drôle, mais puisque c'est tout près, voyons, vous le savez bien.
Léontine
Voilà une raison !
Moricet(avec amertume.)
Je me demande alors pourquoi, quand je vous ai confié à vous… à vous seule… car j'ai eu soin de ne pas en ouvrir la bouche à votre mari, que j'avais l'intention de prendre une petite garçonnière et que j'hésitais entre plusieurs appartements, vous m'avez dit : "Louez donc celui-là, nous serons tout près…" (Avec passion.)
Ah !… quand vous m'avez dit ça, je n'ai eu de cesse que je n'aie eu mon bail en poche ! J'ai marché sur tout ! L'appartement était occupé par une brave locataire, Mlle urbaine des Voitures… qui n'avait contre elle que l'irrégularité avec laquelle elle payait son terme ! J'ai obtenu son expulsion du propriétaire. Etait-ce d'un chevalier français ? Non ! mais vous m'aviez dit, n'est-ce pas : "Louez donc celui-là, nous serons tout près ! " Alors…
Léontine
Eh bien ! je ne vois pas le rapport…
Moricet(avec amertume.)
Ah ! voilà bien où nous sommes deux natures différentes. Quand vous m'avez dit : "Louez donc celui-là, nous serons tout près…" Eh bien !… j'avais compris ça !
Léontine
Ah ! bien, vous avez une jolie opinion de moi ; si vous croyez que je fréquente les appartements de garçon !
Moricet(se récriant.)
Moi, croire une chose pareille !… Ah ! Dieu merci !
Léontine(passant une cartouche.)
Trente.
Moricet(prenant la cartouche et répétant machinalement.)
Trente, oui… Mais est-ce que vous croyez que je vous estimerais si je pensais une chose pareille ! Je vous dis : "Venez chez moi", parce que c'est chez moi… Ca ne sort pas d'entre nous ! Mais si je vous croyais capable de… Ah ! bien, Dieu merci, mais qu'est-ce que vous seriez donc ?
Léontine
Oh ! à peu près la même chose.
Moricet(se récriant.)
Vous trouvez, vous ! Ah ! vous n'avez pas le sentiment des nuances.
Léontine
Allons, mettons que je n'ai pas le sentiment des nuances… Et, puisque je ne l'ai pas… Eh bien ! ne parlons plus de tout cela… Voulez-vous ?… n'en parlons plus !
Moricet(se levant et arpentant la scène.)
C'est bien, c'est très bien… Ah ! certes non, je ne vous en parlerai plus. Je ne regrette même qu'une chose, c'est de vous en avoir parlé.
Léontine
Bon. Etouffez vos regrets et continuons nos cartouches.
Moricet(avec une colère sourde.)
Et voilà les femmes, tenez, voilà les femmes !
Léontine(indiquant les cartouches.)
Alors, vous y renoncez ?
Moricet(même jeu.)
Oh ! oui, j'y renonce !… Ces êtres pervers…
Léontine
Je vous parle des cartouches.
Moricet(avec un sourire sardonique.)
Ah ! c'est vrai… les cartouches !… Eh bien ! j'y renonce encore bien plus… aux cartouches… (Avec une colère contenue.)
J'en ai assez, madame, de jouer ce rôle ridicule de fabriquer des cartouches pour monsieur votre mari ! Dieu ! quand je pense que je vous mettais si haut !… Ah ! vous m'avez fait tomber, là, d'un sixième étage… (Bien convaincu.)
Mais c'est égal… je remercie le ciel de vous avoir mise toute nue devant moi.
Léontine(se récriant.)
Hein ?
Moricet(se rasseyant.)
Je parle au figuré !
Léontine
C'est heureux !
(Entre Duchotel, premier plan à droite.)
"Un fil à la patte" est une comédie en trois actes de Georges Feydeau. Elle raconte l'histoire de Fernand de Bois d'Enghien, un homme qui souhaite rompre avec sa maîtresse,...
"Un bain de ménage" est une pièce en un acte de Georges Feydeau. Elle se déroule dans un vestibule où une baignoire est installée. La pièce commence avec Adélaïde, la...
(Au lever du rideau, la scène est vide.)(Il fait à peine jour. Étienne entre par la porte de droite, deuxième plan.)(Il tient un balai, un plumeau, une serviette, tout ce...
(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...
Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...