Même décor qu'au premier acte
Voix-Monsieur Moricet
LéontineEnfin, vous voilà !
(Ils redescendent tous deux.)MoricetAh ! Léontine, je n'ai pas osé me présenter plus tôt de peur d'éveiller les soupçons, mais Dieu sait dans quelle inquiétude j'étais depuis ce matin ! je me demandais ce que vous étiez devenue après le drame de cette nuit.
LéontineAh ! mon ami, je crois que je ne l'ai pas su moi-même, ce que je devenais… Sur le moment, j'ai perdu la tête… je ne comprenais plus ! Vous, disparu, la maison sens dessus dessous, la fenêtre grande ouverte, Gontran surgissant d'un placard !… Enfin, pourquoi, Gontran, je vous le demande ? Ah ! j'ai cru que j'avais le délire ; je me suis sauvée comme une folle, et je me suis trouvée, je ne sais comment dans la rue, tête nue…
Moricet(avec commisération.) Ah ! là ! mon Dieu !
LéontineTout le monde pouvait me reconnaître, et j'aurais marché longtemps de la sorte si je n'avais pas été rappelée à la réalité par un jeune blanc-bec qui est venu à moi et m'a dit : "Madame ! j'ai vingt francs ! "
(Après un temps.) Je vous demande un peu ce que ça pouvait me faire qu'il eût vingt francs !…
MoricetIl cherchait peut-être de la monnaie.
LéontineN'importe, j'ai compris que je ne pouvais pas errer plus longtemps sur la voie publique. Alors, n'osant ni rentrer chez moi, ni me présenter dans un hôtel, j'ai hélé un fiacre fermé !… Ah ! mon ami, quel fiacre !… et j'ai dit au cocher : "Tournez autour de la place de l'Europe, je vous prends à l'heure ! " Il a dû me prendre pour une folle, le cocher, et nous avons tourné comme ça jusqu'au matin… Ah ! je la sais par cœur, la place de l'Europe !
(Elle va s'asseoir à gauche sur une chaise qui est près de la cheminée.)Moricet(avec commisération.) Ma pauvre Léontine !…
(Changeant de ton.) Au moins, vous avez bien reçu ma lettre ce matin, vous expliquant…
LéontineOui !… Ah ! elle m'a édifiée sur la conduite de mon mari, votre lettre… Non, non, quand je pense que vous veniez me soutenir qu'un mari qui fait semblant d'aller à la chasse n'est pas un mari qui va chez sa maîtresse !
Moricet(abasourdi.) Moi ? Ah ! bien, elle est forte !
LéontineVoilà où il était, M. Duchotel… chez madame Cassagne !
MoricetSi ce n'était que ça ! Mais ce qu'il y a de plus raide, c'est que c'est sur moi que ça tombe !… c'est votre mari qui chasse sans permis, et c'est moi qui ai la contravention.
Léontine(se levant et descendant, à Moricet qui est sur le devant de la scène, un peu à gauche.) Ah ! ça ! Par exemple, c'est bien de votre faute !… Puisque le commissaire vous avait vu un instant auparavant dans l'appartement à côté, vous n'aviez qu'à vous expliquer.
Moricet"le commissaire ! "… si vous croyez qu'on parle comme ça au commissaire… Il m'a répondu : "Je n'ai pas à entrer dans ces détails ; je suis là pour constater des faits, non pour les raisonner. Un homme était dans cette chambre avec madame, cet homme s'est enfui sans pantalon par le balcon, on l'a rattrapé dans la même tenue ! Il se trouve que c'est vous !
LéontineIl fallait insister !
MoricetJe ne pouvais pas… il était pressé !… il allait dans le monde.
LéontineOù ça ?
MoricetAu bal de l'Hôtel de Ville.
Léontine(s'inclinant.) Ah !
MoricetOh ! mais cela ne se passera pas comme ça ! je vais de ce pas chez le commissaire ; je lui fais convoquer Duchotel et une fois en présence tous les deux, qu'ils se débrouillent !
LéontineAbsolument !
MoricetTiens ! c'est vrai ! Pourquoi est-ce que je me dévouerais ? Nous aurions été surpris ensemble, nous deux, est-ce que votre mari se serait dévoué pour nous ? Non ! Eh ! bien, alors !
LéontineC'est très juste ! Quant à moi, je sais ce qu'il me reste à faire : le divorce !
MoricetQuoi !… vous voulez… ?
LéontineParfaitement !… personne ne sait rien de mon escapade d'hier !… j'ai donc le beau rôle !… Et pour commencer, comme je ne veux pas qu'il reste la moindre trace de mon équipée, vous, vous allez me rendre ma lettre.
MoricetQuoi !… votre lettre !… vous exigez ?…
Léontine(carrée.) Parfaitement !
Moricet(tout en fouillant dans les poches de sa jaquette, puis dans celles de son pantalon.) Oh ! tout ce que j'avais pu obtenir de vous !
(Se résignant.) Enfin !
(Changeant de visage.) Allons bon !… où l'ai-je mise ?
(Brusquement.) Ah ! mon Dieu !
Léontine(effrayée.) Quoi ?
LéontineHein ?
Moricet (d'une voix étranglée.)Elle est dans mon pantalon !
Dans la poche de mon pantalon ! C'est votre mari qui la promène dans mon pantalon !
LéontineAh ! bien !… Nous sommes bien !
MoricetMon Dieu ! mon Dieu ! que faire ?
LéontineAh ! non, non, vous le feriez exprès que vous ne réussiriez pas mieux !
(Elle remonte à gauche.)MoricetEst-ce que je pouvais prévoir que votre mari prendrait mon pantalon ?
Léontine(à la cheminée.) Ah ! vous ne prévoyez jamais rien !… Et s'il l'a trouvée maintenant, cette lettre ?… s'il l'a lue ?
MoricetOh ! comment voulez-vous ? il sait très bien que le vêtement ne lui appartient pas, il n'aura pas l'indiscrétion…
LéontineEst-ce qu'on sait ?
LéontineVous ne faites que des maladresses !
MoricetC'est ça !… Eh bien, si vous permettez, je vais aller jusque chez le commissaire, c'est l'heure où il m'attend.
LéontineOui, allez, allez !
(Il sort par le fond.)