Acte II - Scène XVII



Moricet, Léontine, Gontran dans le placard, puis Bridois

Moricet(revenant comme un fou suivi de Léontine également épouvantée ; elle a une bougie allumée à la main.)
Je vous dis qu'il y a un homme ! je vous dis qu'il y a un homme !

Léontine(affolée.)
Mais où çà ?… où çà ?
(Ils cherchent partout, Moricet a gagné l'extrême gauche au-dessus de la table, Léontine est près du lit.)

Moricet(redescendant entre la table et le piano et regardant sous la table.)
, tout en passant devant la table et gagnant le canapé. Là ! dans mon lit ! il m'a embrassé !
(Il se met à plat ventre et regarde sous le canapé. Léontine, tout en allant vers la porte de sortie. Ah çà ! Vous êtes fou !… Vous avez eu le cauchemar !)

Moricet(se relevant.)
Puisque je vous dis qu'il m'a embrassé !

Léontine(qui a inspecté la serrure de la porte de sortie.)
Et tenez ! Voyons, la porte est encore fermée à double tour, il n'est pas entré par le trou de la serrure !

Moricet(qui brisé d'émotion est allé également s'affaler sur le canapé.)
Léontine ! Je vous demande pardon ! Mais j'ai tellement cru ! Ah ! bien ! C'est égal, j'aime mieux ça.

Voix De Bridois
Au nom de la loi, ouvrez !

Moricet Et Léontine(bondissant.)
Le commissaire !
(Ils se précipitent, lui dans la direction de la porte d'entrée, elle du côté de la porte de droite au fond ; pendant tout ce qui suit, on ne cesse de frapper à la porte.)

Léontine(affolée.)
Nous sommes perdus !

Moricet(même jeu, courant sur place comme un homme qui ne sait où donner de la tête.)
Ah ! Mon Dieu ! Cachez-vous !

Léontine(même jeu, courant dans tous les sens.)
Mais où ? Mais où ? (ouvrant la porte deuxième plan droit.)
Et cette chambre qui n'a pas d'issue !

Voix De Bridois
Inutile d'essayer de fuir, nous savons que vous êtes là, ouvrez !

Moricet(furieux, parlant dans la direction de la porte.)
Mais oui, mais oui ! (Brusquement à Léontine.)
Nous n'avons plus qu'une seule ressource, payer d'audace ! (Il est remonté jusqu'au fauteuil où sont ses vêtements et redescendant avec sa jaquette qu'il enfile sans réfléchir qu'il est en caleçon et en pantoufles.)
Du calme !… (Boutonnant sa jaquette.)
De la tenue !… (Indiquant à Léontine son chapeau qui est sur la cheminée.)
Mon chapeau ! mon chapeau ! (Elle le lui passe ; il le met.)
Et dites comme moi !

Voix De Bridois
Vous ne voulez pas ouvrir de bonne volonté ?

Moricet(qui est allé à la porte et l'a ouverte.)
c'est bien, monsieur le Commissaire ! Entrez !

Le Commissaire(entrant et parlant à la cantonnade.)
Restez là, vous autres !
(Il est en habit noir sous son paletot.)

Moricet(qui a pris des gants dans la poche de sa jaquette et les met à ses mains pour se donner une tenue irréprochable.)
… Et veuillez me dire en vertu de quel mandat vous forcez ma porte à pareille heure ?

Bridois(très digne, retirant son chapeau et montrant son écharpe qu'il a tirée pliée de sa poche.)
Je vais vous le dire ! (Changeant de ton.)
Mais d'abord, pardonnez-moi, monsieur et madame, de venir vous déranger d'une façon aussi intempestive. Si le magistrat instrumente… (Saluant par petites saccades)
l'homme du monde s'excuse.

Moricet(impatienté.)
c'est bien, monsieur ! C'est bien !
(Le commissaire est près de la table. Moricet et Léontine se tiennent collés l'un près de l'autre, face au public et la main dans la main pour se donner mutuellement du courage.)

Bridois(mettant son écharpe dans sa poche.)
Ceci dit, je viens, monsieur !… Ou plutôt madame ! À la requête de monsieur votre mari, constater la présence de monsieur dans votre domicile, à cette heure avancée de la nuit !

Moricet(payant d'audace.)
Mais, monsieur, je ne vous comprends pas, je suis marié… et madame est ma femme.

Bridois(narquois.)
Oui, monsieur, oui ! Nous la connaissons ! On nous répond ça tous les jours ! (Saluant par saccades.)
Comme galant homme, j'approuve votre mensonge ! Mais comme magistrat… (Posant son chapeau sur la chaise près de la table et tirant un carnet de sa poche.)
Vous vous appelez ?

Moricet
Docteur Moricet !

Bridois(tout en écrivant.)
Et vous, madame ?

Léontine(éperdue.)
Moi ?

Moricet(vivement.)
Mais… madame Moricet.

Bridois
Oh ! Pourquoi vous entêter ? Nous savons très bien que madame n'est pas madame Moricet.

Léontine et Moricet(à part.)
Dieu !

Bridois
Madame est madame Cassagne.

Moricet Et Léontine(n'en croyant pas leurs oreilles.)
Madame Cassagne ?

Moricet
Madame Cassagne ! Il a dit, vous avez dit… madame Cassagne ?

Léontine(radieuse.)
Oui, oui, il a dit madame Cassagne.

Moricet(exultant et se précipitant, comme pour l'embrasser, au cou du commissaire qui se débat et recule jusqu'à l'extrême gauche.)
Oh ! Le bon commissaire ! Ce bon commissaire !… (Changeant de ton et très froidement.)
C'est en face, monsieur !… Madame Cassagne, c'est en face !

Bridois(interloqué.)
En face ?

Moricet(remontant près de Léontine, milieu de la scène.)
Mais oui, monsieur !

Bridois(qui est remonté au-dessus et à droite de la table, le dos tourné aux spectateurs.)
Permettez. La concierge m'a dit : "au second, la porte à droite. " Il me semble que c'est là, ma droite.

Moricet(le faisant pivoter face aux spectateurs.)
Oui ! Mais l'escalier va dans ce sens-là !… Alors votre droite, la voilà !

Bridois(confus.)
Hein ! Oh ! Monsieur, que d'excuses, je vois ce que c'est ! Je me serai retourné sur le palier, alors ma droite est devenue ma gauche.

Moricet(très digne.)
Je ne vous dis pas, monsieur !
Mais on ne réveille pas les gens à pareille heure pour leur dire ça !

Bridois(reprenant son chapeau.)
Ah ! Monsieur, je suis désolé. (Saluant.)
Monsieur, madame… (Voyant que Moricet l'accompagne jusqu'à la porte.)
Continuez, je vous en prie, continuez !

Moricet(haussant les épaules et à lui-même.)
"Continuez ! "

Bridois(sortant et parlant à la cantonade.)
C'est en face ! (De l'extérieur, recevant la porte que Moricet lui ferme violemment sur le dos.)
Oh !

Léontine(à bout de forces, allant s'asseoir sur le bras du canapé.)
Ah ! non, non ! c'est trop ! c'est trop !
(Moricet piteux, allant s'asseoir sur la chaise à droite de la table.)

Léontine(haussant les épaules, puis se levant vers l'extrême gauche.)
Le commissaire, ici! Ah!

Moricet(se levant et descendant au n° 2.)
Est-ce que c'est de ma faute ! puisque c'était pour madame Cassagne ! Eh bien, je l'ai envoyé chez madame Cassagne.

Léontine(haussant les épaules, furieuse.)
Ah ! oui !

Moricet(poussant un cri étouffé.)
Ah ! mon Dieu !

Léontine(tressaillant.)
Qu'est-ce qu'il y a !

Moricet(à part.)
Et Duchotel qui est chez elle !… Il va se faire pincer par le commissaire.

Léontine
Qu'est que vous avez, voyons ! qu'est-ce que vous avez ?

Moricet
Rien ! Rien ! (À part, remontant.)
Ah ! le malheureux !
(Pour exprimer la gravité de la situation de Duchotel, tout en parlant, il esquisse une courte et inconsciente pantomine symbolique qui consiste, par des secousses simultanées des deux mains, à faire claquer les index contre le reste de ses doigts, tout en soulevant lourdement une jambe après l'autre, de façon à rappeler la danse des ours ou des petits Savoyards.)

Léontine(remontant également et se trouvant au 2.)
Furieuse. Enfin, vous êtes content ! vous êtes content de ce qui arrive !

Moricet
Mais non, je ne suis pas content !… Est-ce que j'ai l'air content ?

Léontine(même jeu.)
Mais si, vous dansez ! (Gagnant la chambre de droite.)
Oh ! cet homme ! cet homme !
(Elle disparaît.)

Moricet (qui s'est élancé à sa suite.)
Voyons Léontine ! mais écoutez-moi, voyons !
(Il disparaît à son tour, en laissant retomber la porte sur lui. À ce moment, par la fenêtre laissée entr'ouverte par Léontine, paraît Duchotel éperdu ; il fait irruption sur la scène dans une tenue désordonnée, le chapeau sur la tête, le veston et le paletot à moitié mis, l'étui contenant son fusil en bandoulière ; il est en caleçon.)

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