Acte I - Scène IX



Les Mêmes, Léontine, Duchotel

Duchotel(habillé de neuf avec le pantalon qu'il vient d'essayer.)
Là ! Je suis prêt !
(Gontran se presse de ranger son billet dans sa poche.)

Léontine
Gontran !
(Moricet est à la cheminée, Gontran est près de lui, Léontine est au-dessus de la table, Duchotel est à droite, près de la table.)

Gontran(passant devant la table et gagnant le numéro 3.)
Bonjour, ma tante !… mon oncle ! Tiens, mais c'est que c'est vrai, vous avez mon pantalon !
(Il tend sa jambe pour montrer son pantalon à côté de celui de Duchotel)

Duchotel(tendant également la jambe.)
Il paraît, il paraît, mon ami ! Nous nous copions.

Gontran(à part.)
Il pourrait parler au singulier. Pendant ce qui suit, Gontran, pour s'assurer les bonnes grâces de son oncle, le félicite sur son pantalon. D'un coup de main expert il corrige, de temps en temps, un pli défectueux, comme font les tailleurs quand ils vous essayent un vêtement.

Moricet(à mi-voix, à Léontine qui a gagné la gauche.)
C'est pas gentil, vous savez, ce que vous avez fait, d'aller raconter à votre mari.

Léontine
Ah ! vous trouvez ?…

Moricet
Je ne vous dirai plus jamais rien, moi.

Duchotel
Sapristi ! Il faut que j'envoie une dépêche ! (Il fait mine de se diriger vers le secrétaire, mais à ce moment, Gontran, qui a continué son manège, est en train de lui tirer son pantalon sur le cou-de-pied, de telle sorte que Duchotel, retenu par la jambe, manque de tomber.)
Mais laisse-moi tranquille, toi ! (Il va au meuble de droite et, s'apercevant que le meuble est boiteux.)
Ah çà ! qui est-ce qui a retiré… Ah ! le voilà !
(Il va prendre le livre de Moricet qui est sur la table et l'emporte pour en caler le meuble.)

Moricet(apercevant son manège.)
Ah ! non, mon vieux ! Non, pas ça !… prends Victor Hugo !

Duchotel(qui s'est assis pour écrire.)
Oui ! oui ! c'est bon… (Changeant de ton.)
Dites donc, mes enfants, quelle heure est-il ?

Moricet(regardant sa montre.)
Cinq heures cinq.

Duchotel
Déjà ?

Léontine(regardant sa montre.)
Moi, j'ai cinq heures dix.

Duchotel(à Gontran.)
Et toi ?

Gontran(regardant sa montre, une montre en nickel qu'il tire de la poche de son pantalon.)
Moi ? j'ai neuf heures et demie.

Duchotel
Tu ne vas pas…

Gontran(riant.)
Je ne crois pas…
(Après quoi, lentement, et en se grattant la tête, comme un homme qui creuse une idée qui ne lui vient pas, il gagne la gauche au-dessus de la table ; pendant ce temps, Léontine quitte Moricet et, en passant devant la table, se dirige vers Duchotel.)

Duchotel(se mettant à écrire et, avec affectation, pour être entendu de sa femme.)
Sapristi, je n'ai que le temps, si je veux prendre le train de six heures moins le quart.

Léontine(allant à Duchotel.)
C'est à Cassagne que tu télégraphies ?

Duchotel(retournant vivement la dépêche qu'il est en train de rédiger, de façon à ce que sa femme ne puisse la lire.)
Oui, oui, précisément !… pour lui dire à quelle heure il doit m'attendre à la gare. (Changeant de ton.)
Veux-tu dire qu'on descende mon sac ?

Léontine
J'y vais.
(Elle remonte par la droite et sort par le fond.)

Duchotel(se remettant à écrire.)
Madame Cassagne, 40, rue d'Athènes.

Duchotel(finissant d'écrire.)
"À six heures, à la Maison d'Or. Sois exacte !… Zizi. " (Se levant.)
Je signe Zizi, parce qu'elle m'appelle toujours Zizi ! Dans la maison, on ne me connaît que sous ce nom-là.
(Il plie la dépêche et la met dans sa poche.)

Gontran(exhorté par Moricet, gagnant l'avant-scène et s'approchant de Duchotel.)
Mon oncle !

Duchotel(se levant et, distraitement.)
Quoi ? (À lui-même.)
Voyons, j'ai de l'argent… ?
(Il tire des billets de banque de son portefeuille et les compte.)

Moricet(bas, à Gontran.)
Courage ! Tenez ! il amorce.

Gontran(fait un violent effort sur lui-même, puis.)
Mon oncle !… Je vous vois justement compter des billets de banque, je vous serais bien obligé si vous pouviez me donner cinq cents francs.

Duchotel
Moi ?

Moricet(à part.)
Eh bien ! il y va carrément.

Duchotel
Moi ? Eh bien, non, mon ami, non ? Inutile de me parler d'emprunt, je ne te prêterai plus un sou ! Tu me dois six cents francs, eh bien ! ça suffit !

Gontran(à part.)
Est-il ladre ! Attends un peu ! (Haut.)
Mais mon oncle, je ne comprends pas pourquoi vous me faites tous ces discours ! Je ne vous demande pas un cadeau ! Je vous vois des billets de cent francs dans la main, et je vous demande simplement de m'en donner cinq contre un billet… un excellent billet de cinq cent francs.

Duchotel
Ah ! C'est de te changer que tu me demandes… ? Oh ! ça, avec plaisir… attends. (Comptant ses billets. Pendant ce jeu de scène, un billet lui échappe sans qu'il s'en aperçoive. Gontran qui est tout près de son oncle, et le chapeau à la main, reçoit le billet dans son chapeau et s'en couvre de l'air le plus innocent du monde.)
Un, deux, trois, quatre, cinq !… Voilà cinq cents francs !
(Il lui donne cinq billets.)

Gontran(après avoir serré les cinq billets dans son porte-feuille.)
Merci mon oncle !… Et voilà votre billet…
(Il tire son billet, le remet très aimablement à son oncle, puis remonte vivement au-dessus de la table.)

Duchotel
Qu'est-ce que c'est que ça ? (Lisant.)
"Au jour de ma majorité…"

Gontran(au-dessus de la table.)
Donnant, donnant.

Duchotel(courant après lui.)
Ah ! non, là, eh ! pas de ça ! rends-moi mes billets.

Gontran(tournant en demi-cercle autour de la table de gauche à droite, puis de droite à gauche, suivant que Duchotel le poursuit dans un sens ou dans l'autre et de façon à avoir toujours la table entre eux.)
Vous avez accepté, mon oncle ! ça ne me regarde pas ! le billet est en circulation.

Duchotel
Mais pas du tout ! Eh ! là, pas du tout !

Gontran
Au revoir, mon oncle ! et merci !
(Il sort en courant par le fond.)

Duchotel(le poursuivant jusqu'au fond et s'arrêtant sur le seuil de la porte.)
Gontran !… Oh ! mais c'est trop fort ! En voilà un filou ! Il descend en scène.

Moricet(pouffant de rire.)
Ah ! mon vieux, je crois qu'il te l'a fait endosser !

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