Acte I - Scène VIII



Moricet, puis Gontran, puis Babet

Moricet
C'est ça, va à tes entournures ! C'est ton affaire, marchand de soupe ! Il reste un temps, maussade, puis reprenant sa lecture, avec émotion. Mais nul encore n'a pu pénétrer ce mystère ; Ceux qui pourraient parler ne peuvent plus le faire Et c'est là le secret que garde le tombeau. (Après un temps.)
C'est beau !… Il y a quelque chose qui vibre là-dedans… Il y a un souffle !… Ca ne serait pas de moi que je le dirais aussi bien. (Il a gagné la gauche.)
Mon Dieu, il est évident que ce n'est pas à la portée de tout le monde !… Il va s'adosser à la table face au public et coupe les pages du volume avec un couteau à papier.

Gontran(paraissant au fond ; mise dernier genre, son pantalon est semblable à celui que vient de mettre Duchotel.)
Tiens ! M. Moricet !
(Il pose son chapeau sur la table.)

Moricet(sans quitter la table.)
Gontran ! Vous êtes donc en vacances ?

Gontran
Oui, pour la Toussaint… mon four-à-bac fait relâche.

Moricet
Quoi ?

Gontran
Je dis : mon four-à-bac fait relâche ! autrement dit : mon institution est en congé.

Moricet
Ah ! bon ! c'est qu'aussi vous avez un argot : "Mon four-à-bac fait relâche", qu'est-ce que ça veut dire !… De mon temps, nous, nous disons "la guimbarde déboucle"… tout simplement.

Gontran(pirouettant pour gagner l'extrême gauche.)
Qu'est-ce que vos voulez ! Ce sont les évolutions de la langue française. (Revenant à Moricet.)
Dites-moi, mon oncle n'est pas là ?

Moricet
Si ! À côté, il essaye votre pantalon.

Gontran
Comment, "il essaye mon pantalon ? "

Moricet
Oui, enfin, le pareil à celui-là.

Gontran
Oh ! c'est ça, il me copie. (Se tapant sur le genou avec un geste de gavroche.)
Crevant !

Moricet(le singeant.)
Crevant ! (Changeant de ton.)
Voilà !… Vous le trouverez avec son tailleur, si vous voulez le voir.

Gontran
Oh ! vous savez, je veux le voir et à côté de ça, je ne suis pas pressé.

Moricet
Ah !

Gontran
Non, je viens pour le taper, ainsi vous comprenez…

Moricet
Le taper !… Vous frappez votre famille ?

Gontran
Mais non… Je voudrais qu'il me prête cinq cents francs.

Moricet
Ah ! bon… Eh bien ?

Gontran
Ah ! "eh bien"… Je lui en dois déjà six, voilà le chiendent.

Moricet(le prenant par l'oreille et le faisant descendre.)
Ah ! çà, vous entretenez donc des demoiselles ?

Gontran(après un temps, relevant la tête, et presque à voix basse.)
Oui.

Moricet
Pas possible !

Gontran(avec tout l'exubérance de la jeunesse.)
Oh ! mais une merveille, monsieur Moricet ! un vrai Greuze !… C'est jeune, c'est frais… ça n'a pas encore roulé.

Moricet
Oui-da !

Gontran
Je ne compte pas son vieux, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que c'est qu'un vieux ? C'est une quantité négligeable.

Moricet
Oui.
Gontran:
Il est là pour commanditer l'affaire, voilà tout ; c'est même pour ça que ma petite amie m'a bien dit : "Si jamais mon singe survient, fourre-toi dans le placard ! " (Riant.)
Oui, il paraît qu'il tient à être le seul, cet homme… Est-il drôle ! Moi, est-ce qu'il me gêne ?

Moricet(moqueur.)
Parbleu !… Et… où l'avez-vous rencontrée, cette merveille ?

Gontran(après un jeu de physionomie qui semble dire : "Ah ! voilà !…".)
… Au Mont-de-Piété ! Elle engageait des bijoux de famille… moi, je mettais ma montre au clou. De cette similitude de situation naquit notre rapprochement. Nous nous aimâmes !…

Moricet
Touchant ! Roméo et Juliette chez ma tante !

Gontran
Le soir même, elle me remettait la clé de son appartement et de son cœur et, depuis, je vais la voir tous les dimanches… quand je ne suis pas consigné…

Moricet
Ha ! ha !

Gontran
… comme dimanche dernier, par exemple. (Brusquement.)
Pristi ! et mon télégramme que j'oubliais pour la prévenir de ma visite ce soir. (Il fouille dans la poche intérieure de son veston.)
Va-t-elle être heureuse !… quinze jours d'abstinence… parce que le vieux, n'est-ce pas… (Tirant son portefeuille.)
Non, c'est pas ça !… ça, tenez, c'est une garantie que j'apporte à mon oncle s'il veut me prêter mes cinq cent francs !

Moricet
Ah ! si vous donnez des garanties !…

Gontran(avec une importance comique.)
Mais dame ! (Ton naturel.)
C'est un effet que j'ai préparé à tout hasard.

Moricet(prenant le papier et lisant, pendant que Gontran continue à explorer son portefeuille.)
"Au jour de ma majorité, je paierai à mon oncle Duchotel, la somme de cinq cents francs, valeur reçue comptant. " (Hochant la tête et après un temps.)
C'est ça, la garantie ?

Gontran(prenant son papier qu'il remet dans son portefeuille et comme froissé.)
Tiens ! ça vaut de l'argent ! (Il remet son portefeuille dans sa poche d'où il tire un autre papier.)
Ah ! voilà la dépêche… Je vais l'envoyer porter par la bonne de mon oncle. (Il sonne, puis à Moricet, avec un hochement de tête et après un petit temps.)
C'est égal ! taper mon oncle… Si je pouvais m'éviter cette corvée… (Nouveau temps, puis moitié sérieux, moitié riant.)
Ca… ne vous dirait rien, à vous, par hasard, de me prêter cinq cents francs ?

Moricet(qui continue à parcourir son volume.)
Moi ?… Non… Ca ne me dirait rien du tout.

Gontran(nouveau hochement de tête silencieuse, puis.)
… Je vous aurais donné mon billet.

Moricet
Oui, je sais bien, mais non. (Il gagne l'extrême droite.)

Gontran
Oui. Oh ! je pensais bien ; je vous disais ça par acquit de conscience. Il se dégage pour écrire l'adresse postal sur une enveloppe contenant un doux billet, prenant appui sur la petite table branlante. En aparté "Madame Urbaine des Voitures, 40, rue d'Athènes. "

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