Acte III - Scène X
Les mêmes, puis Gontran
Voix
Monsieur Gontran !
Tous(tressaillant.)
Gontran !…
(Moricet instinctivement s'est dressé et rapproché de Léontine qui de même s'est rapprochée de Moricet. Duchotel a failli s'effondre sur lui-même. Tous trois semblent cloués sur place ; Babet s'efface pour laisser passer Gontran, et sort, au milieu d'un silence de glace.)
Gontran(s'arrêtant au fond et se croisant les bras avec un hochement de tête plein de malice gamine.)
Ah ! çà ! qu'est-ce que vous faisiez donc, cette nuit, 40, rue d'Ath… ?…
Tous(bondissant.)
Oh ! (Toux générale, pour étouffer la voix de Gontran.)
Hum ! hum ! hum !…
Duchotel(qui est remonté vivement en passant par la droite de la table et est allé à Gontran.)
Ah ! ce bon Gontran !…
Il le tire à lui comme pour lui parler à voix basse et le fait ainsi descendre en passant à droite de la table.
Léontine(qui, suivie de Moricet, a esquissé le même mouvement que Duchotel vers le fond, mais est arrivée trop tard pour atteindre Gontran, redescendant ainsi que Moricet par la gauche de la table et courant à Gontran.)
Ah ! Gontran, vous voilà ! (Elle lui saisit la main droite et le tire à elle. Duchotel le retire, de son côté. Léontine le retire à elle, aidée de Moricet. À Duchotel.)
Mais ne le tirez donc pas comme ça !…
Duchotel(à Léontine, tout en tirant Gontran à lui.)
Mais c'est toi qui le tires !…
Léontine(tirant à elle.)
Moi ?…
Moricet
Du tout, c'est toi !…
Ils continuent de tirer, ce qui entraîne Gontran tantôt à droite, tantôt à gauche.
Léontine(même jeu.)
Enfin, lâchez-le donc !
Duchotel(même jeu.)
Mais toi aussi !
Gontran(ahuri et absolument écartelé, tiré qu'il est de part et d'autre.)
Mais qu'est-ce qu'il y a ?…
Duchotel
a imprimé une secousse violente à Gontran, ce qui fait lâcher prise à Léontine qui est rejetée par l'élan sur Moricet.
Duchotel(profitant de la chose pour entraîner Gontran à droite avant que Léontine ait pu revenir sur lui, vivement et à voix basse.)
Pas un mot de cette nuit ! Cinq cents francs pour toi !
(Il le lâche en le repoussant légèrement de l'épaule droite de façon à l'envoyer du côté de Léontine et prend un air détaché.)
Léontine(qui a couru après Gontran, le rattrapant et l'entraînant à gauche, bas et vivement.)
Pas un mot de cette nuit ! Vous aurez les cinq cents francs que vous demandiez.
(Elle le lâche en le repoussant légèrement de l'épaule gauche de façon à l'envoyer du côté du Duchotel, et comme celui-ci prend un air détaché ; Moricet de même.)
Gontran(agréablement surpris.)
Tiens ! Tiens !
(Tous quatre restent en ligne, face au public, sans rien dire, Duchotel, Léontine et Moricet l'air détaché comme il est plus haut. Gontran les considérant, ahuri.)
Duchotel(après un temps, à Léontine.)
Eh ! ben, (Léontine et Moricet le regardent.)
voilà, je l'ai lâché !
Léontine
Eh ! bien, moi aussi !
Duchotel
Ah ! oui !
Moricet(après un temps.)
Du moment que tu le lâches, nous le lâchons !
Duchotel
Oui ! oui !
(Moment de silence, gêne générale.)
Gontran(qui les considère les uns après les autres, brusquement.)
Qu'est-ce qu'ils ont ?
Duchotel(après un temps, semblant prendre un brusque parti pour en finir.)
Là ! (À Gontran)
Eh ! bien, maintenant, on t'a assez vu !
Léontine et Moricet(en chœur.)
Oui, oui, on l'a assez vu, on l'a assez vu !
Duchotel(le faisant remonter à droite de la table.)
Oui, nous avons à causer, tu reviendras plus tard.
Gontran
Ah ?
Duchotel(bas à Gontran au fond.)
Va m'attendre au salon, je te donnerai les cinq cents francs.
(Il redescend.)
Gontran
Bien. (À Léontine.)
Adieu, ma tante !
Léontine(qui est remontée par la gauche, allant à lui.)
Adieu, Gontran. (Bas, et vivement.)
Je vous donnerai les cinq cents francs, allez m'attendre au salon !
Gontran
Bien ! (À part, pendant que Léontine redescend.)
Au salon, elle aussi… ! (Philosophiquement.)
Ah ! bien, ils se rencontreront. Il sort par le fond.
(Ils sont tous trois dans l'ordre indiqué, sur le devant de la scène, Duchotel à droite, Moricet et Léontine à gauche. Moment de détente générale. Tout danger semble conjuré, on respire. À ce moment, un violent coup de sonnette retentit, faisant tressaillir les trois personnages. Un même sentiment de découragement se peint sur leur visage à la perspective d'une nouvelle complication. Léontine et Moricet se sont instinctivement rapprochés l'un de l'autre. Duchotel se passe la main sur le front comme un homme accablé. Tout ceci et ce qui suit est joué sur place.)
Duchotel(réagissant sur lui-même et pour donner le change à sa femme, prenant un ton badin qui ne trompe personne.)
On… on a sonné.
Léontine(dans le même sentiment que son mari, avec des petits hochements de tête affirmatifs et un sourire forcé.)
On a sonné, oui, oui !
Moricet(comme une cinquième roue à un carrosse.)
On… on a sonné ! Un temps.