Acte II - Scène IX
Les Mêmes, moins Madame Latour
Moricet(fermant la porte brusquement sur Mme Latour et répétant comme elle.)
"Merci bien", hou ! vieille commère, va ! (À Léontine.)
Léontine ! voyons, ce n'est pas sérieux ?
Léontine(son manteau sur ses épaules, d'un air de défi.)
Oui ? Ah ! bien vous allez voir, si ça n'est pas sérieux !
Moricet(navré, ne sachant à quel saint se vouer et essayant de la retenir.)
Ah ! là, mon Dieu, mais qu'est-ce qui vous prend ? comment, je vous quitte tranquille…
Moricet
Je vais chercher le champagne, et quand je reviens, crac ! changement complet, vous trépignez, vous voulez vous en aller !
Léontine(même jeu.)
Certainement !
Moricet
Mais quelle bonne raison pouvez-vous donner ?
Léontine
Je n'ai pas de raison à donner ! je veux m'en aller, ça suffit ! je suis libre, je suppose ?
(Elle remonte dans la direction de la porte de sortie.)
Moricet(l'arrêtant aussitôt et la faisant redescendre devant le canapé.)
Mais, certainement non, vous n'êtes pas libre, j'ai votre parole !… et la parole, c'est sacré !… c'est…
Léontine
Oh ! c'est ça qui m'est égal !
(Elle a fait le tour du canapé par la droite de façon à se trouver au-dessus et s'élance pour s'en aller.)
Moricet(qui a deviné son intention, remonte vivement au-dessus du canapé par la gauche de façon, à barrer le passage à Léontine et la fait redescendre.)
D'ailleurs vous m'avez donné une mission à remplir, celle de vous venger, j'accomplirai mon ministère jusqu'au bout.
Léontine, voyons, Léontine !… mais c'est de la cruauté, mais je vous aime, moi !
Léontine(avec un ricanement.)
Ha !
Moricet(Déclamant comme suprême ressource.)
"Grisé de ton sourire, ivre de ta beauté. "
Léontine
Non, mon ami, non ! c'est inutile.
Moricet
Vous oubliez qu'en pénétrant sous ce toit, vous m'avez commis de ce fait le soin de votre réputation : eh bien ! j'entends la défendre jusqu'au bout, et cela même contre vous-même.
Léontine
Contre moi-même !
Moricet
Oui, contre vous-même ! Pour vos gens, pour tout le monde, vous êtes à la campagne, chez votre marraine. Eh bien ! vous devez y rester chez votre marraine… ! si vous ne voulez pas que tout le monde comprenne que votre marraine est une vieille balançoire, ah ! bien ! vous verrez alors les commérages !
Léontine(bien catégorique.)
Une fois ! deux fois ! vous ne voulez pas me laisser partir ?
Moricet(bien carré.)
Non ! non ! non !
Léontine(ôtant son manteau.)
C'est très bien ! Je m'installerai à côté sur la chaise longue et je dormirai comme ça, ou je ne dormirai pas ! ce sera ma punition.
Moricet
Ah ! là, mon Dieu ! et tout ça pour… Oh ! cette concierge !
Il montre le poing à la porte.
Léontine(qui a enfin réussi à faire prendre feu à une allumette, allumant la bougie qui est dans le bougeoir sur la cheminée.)
Vous me donnerez seulement une couverture, quelque chose ?
(Elle prend le bougeoir pour aller dans la chambre, deuxième plan droit.)
Moricet(se dirigeant vers le lit.)
Je veux bien… (Il rejette le couvre-pied sur le pied du lit, avec mauvaise humeur après un léger temps.)
Mais vous savez, vous regretterez !
Léontine(d'un air hautain.)
Quoi ?
Moricet
D'abord, il fait un froid de loup là-dedans.
Léontine(prenant son manteau qui est sur le canapé et remontant.)
Allez ! allez toujours !… j'allumerai du feu.
Moricet(furieux.)
Oh ! cette concierge !
Léontine
Ah ! on m'y reprendra encore.
(Elle entre brusquement dans la pièce droite, dont elle ferme la porte avec violence.)