ACTE PREMIER - Scène IV



(LES MÊMES, MOINS MADAME BICHU)

ALICE(allant vivement, ainsi que Berthe, à Finette sitôt le départ de madame Bichu.)
Dis donc, j'espère que tu ne vas pas faiblir.

BERTHE
Si tu cèdes, tu es perdue.

FINETTE
Merci, mes amies, de me soutenir. Ah ! non, je ne faiblirai pas. Epouser Saboulot ! Ah bien, j'aimerais mieux prendre le voile toute ma vie, prendre le voile au collège, D'ailleurs, je me charge bien d'en sortir du collège. En attendant, mon mariage ne se fera pas.

ALICE ET BERTHE
Non !

FINETTE
D'abord, je n'en ai pas le droit, mon cœur est pris, j'aime.

ALICE ET BERTHE
Toi ?

FINETTE(avec admiration,)
Oui, un homme superbe ! C'est pas un homme de science, lui, c'est un homme de couleurs.

ALICE
Un nègre ?

FINETTE
Non, un peintre, un artiste ! Il s'appelle Apollon Bouvard. Je l'ai connu à la pension.

BERTHE
Vous aviez des garçons à votre pension ?

FINETTE
Par exception. C'est lui qui peignait les fresques de la chapelle. Ah ! si vous aviez vu ça !
RONDEAU. Je le voyais à la chapelle, En l'air, étendu sur le dos, Et badigeonnant avec zèle La voûte à grands coups de pinceaux. Il était bien haut, mais qu'importe ! Tout mon cœur monta jusqu'à lui… Et crac ! je m'épris de la sorte De ce bel homme en raccourci. Les yeux en l'air, avec extase, Je semblais implorer les cieux : "Non ; c'est lui qu'il faut que j'embrase." Et je l'hypnotise des yeux ! Qu'un regard peut être loquace ! Rien qu'un coup d'œil, on s'est compris. Pan, dans l'orbite, de ma place, Et ça suffit, le voilà pris. Depuis ce moment, chaque messe Pour nous devient un rendez-vous ; Je l'aperçois même à confesse… Combien se confesser est doux ! Et dès lors, le roman commence, Lui de là-haut, et moi d'en bas. Que nous importe la distance ! En amour ça n'existe pas ! ( À Alice.)
Ah ! tiens, tâte mon cœur, ma chère ! Sens-tu comme il bat du tambour ? Y'a pas ! Va te faire lan laire, C'est l'amour !

ALICE
Il n'y a pas à dire, c'est l'amour. Mais alors vous n'avez jamais pu vous parler

FINETTE
Pourquoi ça ?

BERTHE
Dame ! à la chapelle, à dix mètres de distance.

FINETTE
Oh ! nous avions trouvé un moyen : nous causions par signes. Il connaissait l'alphabet muet des pensionnats.

ALICE
C'est exquis !… l'amour télégraphique !

BERTHE
Nous aussi, nous avons un amour.

FINETTE
Ah !

ALICE
Oui, nous avons le même. Notre pion au collège… Le vicomte Arthur du Tréteau, un jeune homme d'une élégance !

BERTHE
Et qui danse le Boston.

FINETTE
Vraiment ! Et comment est-il pion ? Un revers de fortune ?

BERTHE
Non, du tout ! il est très riche.

ALICE
Mais comme il est aussi bachelier, il s'est fait nommer maître d'étude au lycée Marmontel par son oncle qui est ministre. Au moins, s'il trouve un beau parti, il aura le temps de l'étudier.

BERTHE ET ALICE
Ah ! le bel homme

FINETTE
Comme Apollon (Ensemble.)

BERTHE ET ALICE
Ah ! Arthur ! Finette. Ah ! Apollon !

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