Acte III - Scène VII



(LES MÊMES, MONSIEUR ET MADAME BICHU, UN GOMMEUX)

MADAME BICHU
Eh ! bien, as-tu demandé où on le trouverait, ce Bouvard ?

BICHU
Non !

MADAME BICHU
Qu'est-ce que tu attends ?… Demande au contrôle.

BICHU
J'y vais, Galathée !… (Il sort.)

UN GOMMEUX (, à madame Bichu qui lui tourne le dos.)
Eh ! la belle solitaire ! Oh ! de la vieille garde ! (Il s'échappe en sautillant.)

MADAME BICHU
Impertinent !… À quoi est exposée une femme seule ! Saboulot !… c'est le ciel qui l'envoie ! Monsieur Saboulot !

SABOULOT
Ma femme voilée !… La voilà donc, la vengeance ! Eh ! petite gamine, va !

MADAME BICHU
Ah ! mon Dieu !

SABOULOT(lui pinçant la taille.)
Ah ! qui qui l'est, la petite femme à son Coco ?

MADAME BICHU
Ah ! mon Dieu !… mais il est fou !… Saboulot, voyons ! (Elle relève sa mantille.)

SABOULOT
La mère Bichu !… J'ai la berlue !…

MADAME BICHU
Ah ! çà ! monsieur, et-ce que vous me prenez pour une horizontale ?

SABOULOT
Oh ! croyez bien…

BICHU(à madame Bichu. )
Me voilà !… Tiens ! Saboulot (Ils se serrent la main.)

MADAME BICHU
Ah ! si vous saviez, mon pauvre monsieur Saboulot, toutes les catastrophes qui nous arrivent ! Un misérable a enlevé ma fille !

SABOULOT
Je sais tout, madame, et j'allais justement, à mon grand regret, vous rendre votre parole.

MONSIEUR ET MADAME BICHU
Comment ?

SABOULOT
Vous comprenez que je ne puisse plus songer à épouser une personne qui se compromet avec un autre…, et se donne en spectacle dans un jardin public.

MADAME BICHU
Qu'est-ce que vous dites ?

SABOULOT
Si vous étiez arrivée plus tôt, madame, vous auriez entendu votre fille chanter sur cette estrade "le Conseil de Révision".

BICHU
Ma fille ?

MADAME BICHU
Ma fille chantait !… ah ! ah ! ah ! (Elle a une crise de nerfs.)

BICHU
Allons ! bon ! Ne te trouve donc pas mal, c'est pas le moment.

FINETTE
Eh bien ! où donc le notaire a-t-il emmené Apollon ? Papa ! maman !… Maman ! papa !

BICHU
Finette !…

MADAME BICHU
Malheureuse enfant !…

BICHU
Détestable fille !

MADAME BICHU
Toi ! toi ! ici !… Tu es la honte de ta famille !

FINETTE
Ah ! maman !

BICHU
Mais qui ?… mais qui voudra de toi maintenant ? Malheureuse petite !… Monsieur Saboulot vient de nous rendre notre parole.

FINETTE
Il a fait ça !… Ah ! merci, monsieur Saboulot.

SABOULOT
Hein ! il n'y a pas de quoi !

MADAME BICHU
Enfin qui voudra t'épouser ?

TOUS
Qui ? qui ?

BOUVARD(entrant.)
Mais moi !

MONSIEUR ET MADAME BICHU
Apollon Bouvard !

BICHU(s'élançant sur Bouvard tandis qu'on le retient.)
Vous, le bagne !

MADAME BICHU
L'échafaud !

BOUVARD
Non, monsieur, je ne suis plus le petit peintre que vous connaissiez. J'ai la chance de vendre mes tableaux au poids de l'or.

BICHU
Vous ?… Depuis quand ?

BOUVARD
Mais depuis aujourd'hui… Me voilà coté !… J'avais un tableau, un tableau dont tout le monde me refusait deux cents francs. Alors, j'ai eu une idée de génie. J'en ai demandé trente mille francs. On me l'a acheté toute de suite.

MONSIEUR ET MADAME BICHU
Trente mille francs !

SABOULOT
Allons donc !

CARLIN
Parfaitement !… C'est même à mon étude que monsieur aura à les toucher.

BICHU
Ça peut donc gagner de l'argent, un peintre ?

BOUVARD
Monsieur Bichu, j'ai l'honneur de vous demander la main de mademoiselle Finette Bichu, votre fille, que j'aime !

FINETTE(à Bouvard.)
Et qui vous le rend bien.

BOUVARD
Que répondez-vous ?

BICHU
Ah ! que voulez-vous ! vous avez des arguments sans réplique.

BOUVARD
Ah ! Finette !

FINETTE
Ah ! Apollon !

SABOULOT
Sujet de pendule, va ! (Tout le monde entre. On entend une détonation.)

BICHU
Qu'est-ce que c'est que ça ?

BOUVARD
C'est le feu d'artifice qui commence.

SABOULOT
V'là ! C'est le bouquet. (Le fond de la scène s'illumine de feux de Bengale et l'orchestre joue la ritournelle d'un quadrille qui est précisément l'air de la Lycéenne sur lequel la foule danse le quadrille, pendant que Finette chante, sur le même air de la chanson, au public.)

BOUVARD
Amis, avant que de partir, La Lycéenne vous en prie,

FINETTE
Contre elle, n'allez pas sévir, Pardonnez son grain de folie.

SABOULOT
Et si notre lycée ici A fait un triste phénomène,

FINETTE
Prenez-vous en au lycée, oui, Mais non pas à la lycéenne.

TOUS
Chahut ! chahut ! chahut ! Pour couronner notre but, Des bravo, À gogo ! Allez-y, n'ayez pas l'trac ! Chahut ! chahut ! Chahut ! Pour couronner notre but, Clic et clac, Encore bravo, Chaud ! chaud ! chaud ! (Le quadrille redouble de frénésie. Fusées et détonations.)
(RIDEAU)
(FIN)

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