Acte II - Scène VI



(LES MÊMES, SABOULOT, UN GARÇON)

ROSE
Un ban à Finette !

TOUTES
Oui, une, deux, trois.

FINETTE(faisant des manières.)
Mesdemoiselles, je vous en prie… (Entre Saboulot.)

TOUTES(faisant le ban en frappant dans les mains et sur la table.)
Pan, pan, pan ! pan pan ! pan ! pan pan pan pan ! pan ! pan ! pan pan ! hip ! hip ! hourrah !

SABOULOT(surgissant au milieu des élèves.)
Mesdemoiselles, je suis très flatté de l'ovation que vous me faites

TOUTES
Qu'est-ce que c'est que celui-là ?

FINETTE(à part.)
Saboulot !

SABOULOT(au garçon.)
Voulez-vous aller prévenir le proviseur que M. Saboulot, le nouveau professeur de physique et de chimie vient d'arriver.

LE GARÇON
Oui, monsieur ! (Il sort.)

TOUTES
Le professeur de physique !

SABOULOT
Mesdemoiselles, je suis votre… Mâtin, les jolies filles ! Je suis votre nou… nou… je suis votre veau…votre nouveau professeur. Tout ce beau sexe pour un homme seul ! Votre nouveau professeur de physique.

ROSE
Je crois qu'il bégaye.

SABOULOT
Je ne vous cacherai pas que je suis disposé… Elle a de jolies dents, celle-là. Que je suis disposé. Eh ! ne m'entourez pas comme ça, vous m'étouffez ! Allons ! En dehors du rayon, n'est-ce pas ? C'est vrai !… tous ces yeux à la fois… si je ne veux pas me laisser dominer. Allons, regagnez vos places, je vous prie, mesdemoiselles. (Les élèves regagnent leurs places.)
Certes, je suis bien à l'abri De Cupidon et de sa flèche, Et je puis braver sans souci Frimousse provocante et fraîche. Ne cherche plus à m'enflammer, Ma pauvrette, je t'en défie ! On ne peut pas plus m'allumer Bis. Qu'une allumette de la Régie. Toutefois il ne faudrait pas Pousser les choses à l'extrême Et l'on a vu, dans certains cas,

SABOULOT(apercevant Finette qui lui tourne le dos.)
J'avais prié qu'on allât s'asseoir. Je parlais pour tout le monde. Mademoiselle, je dis cela pour tout le monde… Eh ! vous, là ! oui, la petite demoiselle !

FINETTE(se retournant. )
Quoi ?

SABOULOT
Finette !… Elle !… Ah ! ah ! ah ! à ton tour Saboulot, à toi le beau rôle !

FINETTE(au public. )
Et dire que c'est à cause de cette vieille perruque que je suis sous clé.

SABOULOT(à part. )
Je ne veux même pas avoir l'air de la connaître. Veuillez vous asseoir.

FINETTE(d'une voix flutée.)
Flûte !

SABOULOT(interdit. )
Voilà !… c'est très bien !… Je lui donne des ordres !… elle ne les exécute pas ; mais je lui donne des ordres tout de même. Mesdemoiselles, nous allons commencer le cours.

ALICE(à Berthe. )
Un écarté, Berthe !

BERTHE
Un écarté, soit ! ( Elles mettent un dictionnaire devant elles pour cacher ce qu'elles font, et jouent.)

SABOULOT
Et c'est pour vous, mesdemoiselles les assises, que je le commence, mon cours, car, pour mademoiselle, je ne m'en occupe pas plus que si elle n'existait pas.

FINETTE(entre ses dents.)
Oui, mon vieux, t'as raison ; car en fait de cour, t'as pas été heureux avec moi !

SABOULOT
Mademoiselle, je ne vous adresse pas la parole, je parle à ces demoiselles.

FINETTE
Ah ! bien !

SABOULOT(aux élèves.)
Quant à mademoiselle elle peut s'obstiner à rester au piquet au milieu de la classe, je ne m'aperçois même pas qu'elle est là.

FINETTE
C'est bon, on l'a entendu.

SABOULOT
Mais là, pas du tout ! je la martyrise !

FINETTE
Au fait, il a raison, je vais m'asseoir. (Elle va s'asseoir au premier banc, à côté d'Alice.)

SABOULOT
Ainsi, mademoiselle s'est assise, je n'y ai même pas fait attention. Je veux qu'elle le voie bien. Mes chères élèves, je commencerai par le commencement !

FINETTE(assise la tête dans son pupitre.)
Oui, M. de la Palisse.

SABOULOT
Vous dites ?

FINETTE(se levant et l'imitant.)
Je parle à ces demoiselles. Elle s'assied.

SABOULOT
Ah ! bon… La physique est la science…

BERTHE(jouant à l'écarté.)
Cœur !

SABOULOT(les voyant jouer. )
Qu'est-ce qu'elles font là ! Elles jouent à l'écarté Mais non, mademoiselle, vous devez répondre à la couleur. Cœur, atout, atout et atout… vous ne savez pas jouer à l'écarté, mon enfant. La physique est la science des choses naturelles.

ROSE
M'sieur, alors l'amour, c'est de la physique ?

SABOULOT
Jamais de la vie !

SOPHIE
Pourtant, m'sieur, c'est une chose naturelle.

SABOULOT
Il y a des gens qui le disent… Mais c'est de la philosophie. Il n'y a guère que la femme qui fasse de l'amour une question de physique. Je perds mon temps, elle fait des cocottes Mademoiselle, quand je donne la leçon, je vous prierai de ne pas faire, ce que j'appellerai par euphémisme, à cause de ces jeunes filles, des demoiselles en papier.

FINETTE
Flûte !

SABOULOT
Voilà ! Ma parole, elle a presque l'air de se moquer de moi… Qu'est-ce qui m'a lancé cette boulette de papier mâché ? Mademoiselle, là-bas, c'est vous, je vous ai vue.

CLARISSE
Moi, m'sieur ?

SABOULOT
Vous serez privée de récréation pendant deux jours.

CLARISSE
Oh ! m'sieur, vous n'êtes pas galant !

SABOULOT
Vous oubliez que je suis votre professeur.

CLARISSE
Et vous, que je suis une femme. On doit tout passer aux femmes.

TOUTES
Oui, oui.

SABOULOT
Je ne dis pas. Mais alors, on ne lance pas du papier mâché ! Voyez-vous des gens bien, voyez-vous madame votre mère lancer des boulettes de papier mâché ?

CLARISSE
Maman ne me dit pas ce qu'elle fait.

SABOULOT(faiblissant. )
Elle est gentille aussi… Allons ! passe pour cette fois, mais n'y revenez plus.

TOUTES
Ah !

FINETTE
J'ai assez d'être assise, je vais me dérouiller les jambes. (Elle arpente la salle à grands pas.)

SABOULOT(la regardant.)
Non, mais ne vous gênez pas !

FINETTE
Vous voyez ! c'est ce que je fais.

SABOULOT(avec affectation. )
Je voudrais bien savoir quelle est cette jeune fille qui se permet toutes ces licences. Comment vous appelez-vous, mademoiselle ?

FINETTE(à mi-voix.)
Moi ? Faites donc pas l'imbécile !

SABOULOT
Hein ?

FINETTE
Vous ne me connaissez pas ! Eh bien ! je vais vous donner de la mémoire. Finette Bichu, fiancée en rupture de bans… devait épouser un magot.

SABOULOT(la faisant passer. )
Assez ! Assez !

FINETTE
Un instrument à mathématiques, une boîte à chiffres.

SABOULOT
Assez, assez ! Mesdemoiselles, bouchez-vous les oreilles ! Elle va trop loin.

FINETTE
Et ce magot, cet instrument à mathématiques, je le nommerai.

TOUTES
Nomme-le !

SABOULOT
Non, non. Mesdemoiselles je vous donne campo ! sortez toutes ! Quelle bavarde, mon Dieu, quelle bavarde !

TOUTES(sortant.)
Nomme-le !

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