ACTE DEUXIÈME - Scène IX



(le BARON, madame MURER, EUGÉNIE.)

le baron
Eh bien ! parce que je m'endors un moment en jasant avec vous…

eugénie (, troublée.)
Mon frère s'est battu.

le baron
D'où savez-vous cela ?

eugénie
C'est ce que mande sir Henri.

madame murer (, avec importance.)
Et il a désarmé son homme : si ce n'était pas son colonel…

le baron
Son colonel tout comme un autre.

eugénie
Mon père, ma tante, occupons-nous tous des moyens de le sauver.

madame murer
Où le prendre ?

eugénie
Mon cousin dit qu'il est à Londres.

madame murer
Mais il ne sait pas que nous y sommes.

eugénie (, baissant les yeux.)
Milord Clarendon ne pourrait-il pas…

madame murer (, d'un air dédaigneux.)
Le cher lord ! Ah ! oui. Si monsieur lui fait la grâce d'accepter ses services.

le baron (, lui rendant son air.)
Ma foi, ce serait ma dernière ressource. Donne-moi la lettre, Eugénie. (Il lit bas.)
Diable ! (Il lit tout haut.)
"Quand il ne réussirait pas à le perdre, avertissez sir Charles d'être toujours sur ses gardes ; le colonel a la réputation de se défaire des gens par toutes sortes de voies…" Bon ! cela ne peut pas être : un officier…

madame murer
Cet événement me ramène à ce que je vous disais tantôt, monsieur ; si, au lieu de destiner votre fille à un vieux militaire sans fortune, vous trouviez bon que l'on eût pour elle des vues plus relevées… Les protections aujourd'hui…

le baron
Nous y voilà encore. Ma sœur, une bonne fois pour toutes, afin de n'y jamais revenir : Vous aimez les lords, les gens de haut parage, et moi je les déteste. Ma fille m'est trop chère pour la sacrifier à votre vanité, et la rendre malheureuse.

madame murer
Et pourquoi, malheureuse ?

le baron
Est-ce que je ne connais pas vos petits grands seigneurs ? Voyez-les dans les unions même les plus égales pour la fortune. Une fille est mariée aujourd'hui, trahie demain, abandonnée dans quatre jours ; l'infidélité, l'oubli, la galanterie ouverte, les excès les plus condamnables, ne sont qu'un jeu pour eux. Bientôt le désordre de la conduite entraîne celui des affaires ; les fortunes se dissipent, les terres s'engagent, se vendent ; encore la perte des biens est-elle souvent le moindre des maux qu'ils font partager à leurs malheureuses compagnes.

madame murer
Mais quel rapport ce tableau, faux ou vrai, a-t-il à l'objet que nous traitons ? Vous faites le procès à la jeunesse, et nullement à la qualité ; c'est dans cet état au contraire que les hommes ont le plus de ressources. S'ils se sont dérangés, un jour ils deviennent sages, et alors les grâces de la cour…

le baron
Arrivent tout à point pour réparer leurs sottises, n'est-ce pas ? Peut-on solliciter des récompenses, quand on n'a rien fait pour son pays ? Et quand le principe des demandes est aussi honteux, n'est-il pas absurde de faire fond d'avance sur des grâces qui peuvent être mille fois mieux appliquées ? Mais je veux encore que son importunité les arrache : eh bien, je lui préférerai toujours un brave officier qui les aura méritées sans les obtenir : et cet homme, c'est Cowerly. S'il ne tient rien des faveurs de la cour, il a l'estime de toute l'armée ; l'un vaut bien l'autre, je crois.

madame murer
Mais, monsieur…

le baron (, impatient.)
Mais, madame, si vous êtes éprise à ce point de vos lords, que n'en épousez-vous quelqu'un vous-même ?

madame murer (, fièrement.)
Vous mériteriez que je le fisse, et que je transportasse tous mes biens dans une famille étrangère.

le baron (, la saluant.)
À votre aise, ma sœur. Pour mes enfants moins de fortune, moins d'extravagance, moins d'occasions du sottises.

eugénie (, à part.)
Toujours en querelle ! que je suis malheureuse !
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