ACTE QUATRIÈME - Scène III



(le BARON, madame MURER.)

madame murer (, d'un ton sombre.)
Eh bien, monsieur, êtes-vous satisfait ? Il s'en est peu fallu que votre fille ne soit morte de frayeur.
(le baron s'assied sans rien dire près de la table, et s'appuie la tête sur les mains, d'un air accablé.)

madame murer (, continuant.)
Des éclats ! de la fureur ! sans choix de personnes.

le baron (, sourdement.)
Ceux qui ont fait le mal le reprochent aux autres.

madame murer
Un homme livré à ses emportements !

le baron (, désespéré.)
Vous abusez de mon état et de ma patience. Vous avez juré de me faire mourir de chagrin. Laissez-nous, gardez votre héritage, il est trop cher : aussi bien ma malheureuse fille n'en aura-t-elle peut-être bientôt plus besoin.
(Il se lève et se promène avec égarement.)

madame murer
Vous n'avez jamais su prendre un parti.

le baron
Je l'ai pris, mon parti !

madame murer
Quel est-il ?

le baron (, marchant plus vite et gesticulant violemment.)
J'irai à la cour… oui, je vais y aller… Je tombe aux pieds du roi : il ne me rejettera pas. (Madame Murer hoche la tête.)
Et pourquoi me rejetterait-il ? Il est père… Je l'ai vu embrasser ses enfants.

madame murer
La belle idée ! Et que lui direz-vous ?

le baron (, s'arrêtant devant elle.)
Ce que je lui dirai ? Je lui dirai : Sire… vous êtes père, bon père… je le suis aussi ; mais j'ai le cœur déchiré sur mon fils et sur ma fille. Sire, vous êtes humain, bienfaisant… Quand un des vôtres fut en danger, nous pleurions tous de vos larmes ; vous ne serez pas insensible aux miennes. Mon fils s'est battu, mais en homme d'honneur ; il sert Votre Majesté comme son bisaïeul, qui fut emporté sous les yeux du feu roi ; il sert comme mon père, qui fut tué en défendant la patrie dans les derniers troubles ; il sert comme je servais lorsque j'eus l'honneur d'être blessé en Allemagne… J'ouvrirai mon habit… il verra mon estomac… mes blessures. Il m'écoutera, et j'ajouterai : Un suborneur est venu en mon absence violer notre retraite et l'hospitalité ; il a déshonoré ma fille par un faux mariage… Je vous demande à genoux, sire, grâce pour mon fils et justice pour ma fille.

madame murer
Mais ce suborneur est un homme qualifié, puissant.

le baron (, vivement.)
S'il est qualifié, je suis gentilhomme… Enfin, je suis un homme… Le roi est juste ; à ses pieds toutes ces différences d'état ne sont rien : ma sœur, il n'y a d'élévation que pour celui qui regarde d'en bas ; au-dessus tout est égal ; et j'ai vu le roi parler avec bonté au moindre de ses sujets comme au plus grand.
(Il va et vient.)

madame murer (, d'un ton ferme.)
Croyez-moi, monsieur le baron, nous suffirons à notre vengeance.

le baron (n'a entendu que le dernier mot.)
Oui, vengeance !… et qu'on le livre à toute la rigueur des lois.

madame murer (, très-ferme.)
Les lois ! la puissance et le crédit les étouffent souvent : et puis c'est demain qu'il prétend se marier. Il faut le prévenir : incertitude ! lenteur ! est-ce ainsi qu'on se venge ? Eh ! la justice naturelle reprend ses droits partout où la justice civile ne peut étendre les siens. (Après un peu de silence, d'un ton plus bas.)
Enfin, mon frère, il est temps de vous dire mon secret : avant deux heures le comte sera votre gendre, ou il est mort.

le baron
Comment cela ?

madame murer (s'approche de lui.)
Écoutez-moi. J'ai envoyé à milord duc un détail très-étendu des atrocités de son neveu, sans néanmoins lui rien dire de mon projet ; ensuite… votre fille n'a jamais voulu s'y prêter ; mais j'ai écrit pour elle au scélérat, qu'elle attend ce soir.

le baron
Il ne viendra pas.

madame murer (, lui montrant le billet.)
Au coup de minuit… Voici sa réponse. J'ai fait armer vos gens et les miens : vous le surprendrez chez elle. J'ai ici un ministre tout prêt : qu'il tremble à son tour !

le baron (, surpris.)
Quoi, ma sœur, un guet-apens ! des piéges ?

madame murer (, avec impatience.)
Y a-t-on regardé de si près pour nous faire le plus sanglant outrage ?

le baron
Vous avez raison ; mais quand il arrivera, j'irai au-devant de lui, je l'attaquerai.

madame murer (, avec effroi.)
Il vous tuera.

le baron
Il me tuera ! Eh bien, je n'aurai pas survécu à mon déshonneur.
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