ACTE I - SCÈNE X
La Comtesse, Le Chevalier.
LA COMTESSE
Quoi ! Chevalier, vous prenez de pareils prétextes pour
nous quitter ? Si vous nous disiez les véritables raisons
qui pressent votre retour à Paris, on ne vous retiendrait
peut-être pas.
LE CHEVALIER
Mes véritables raisons, Comtesse ? Ma foi, Lélio vous les
a dites.
LA COMTESSE
Comment ! Que vous vous défiez de votre coeur auprès
de moi ?
LE CHEVALIER
Moi, m'en défier ! Je m'y prendrais un peu tard ; est-ce
que vous m'en avez donné le temps ? Non, Madame, le
mal est fait ; il ne s'agit plus que d'en arrêter le progrès.
LA COMTESSE (riant)
En vérité, Chevalier, vous êtes bien à plaindre, et je ne
savais pas que j'étais si dangereuse.
LE CHEVALIER
Oh ! Que si ; je ne vous dis rien là dont tous les jours
votre miroir ne vous accuse d'être capable ; il doit vous
avoir dit que vous aviez des yeux qui violeraient
l'hospitalité avec moi, si vous m'ameniez ici.
LA COMTESSE
Mon miroir ne me flatte pas, Chevalier.
LE CHEVALIER
Parbleu ! Je l'en défie ; il ne vous prêtera jamais rien. La
nature y a mis bon ordre, et c'est elle qui vous a flattée.
LA COMTESSE
Je ne vois point que ce soit avec tant d'excès.
LE CHEVALIER
Comtesse, vous m'obligeriez beaucoup de me donner
votre façon de voir ; car, avec la mienne, il n'y a pas
moyen de vous rendre justice.
LA COMTESSE (riant)
Vous êtes bien galant.
LE CHEVALIER
Ah ! Je suis mieux que cela ; ce ne serait là qu'une
bagatelle.
LA COMTESSE
Cependant ne vous gênez point, Chevalier : quelque
inclination, sans doute, vous rappelle à Paris, et vous
vous ennuieriez, avec nous.
LE CHEVALIER
Non, je n'ai point d'inclination à Paris, si vous n'y venez
pas.
(Il lui prend la main.)
À l'égard de l'ennui ; si vous saviez l'art de m'en donner
auprès de vous, ne me l'épargnez pas, Comtesse ; c'est un
vrai présent que vous me ferez ; ce sera même une bonté
; mais cela vous passe, et vous ne donnez que de l'amour
; voilà tout ce que vous savez faire.
LA COMTESSE
Je le fais assez mal.