ACTE TROISIÈME - Scène VII
(BURIDAN LANDRY.)
LANDRY
Capitaine, où êtes-vous ?
BURIDAN
Ici.
LANDRY
C'est moi.
BURIDAN
Qui, toi ? Je n'y vois pas.
LANDRY
A-t-on besoin de voir ses amis pour les reconnaître ?
BURIDAN
C'est la voix de Landry !
LANDRY
À la bonne heure.
BURIDAN
Peux-tu me sauver ?
LANDRY
Impossible.
BURIDAN
Que diable alors viens-tu faire ici ?
LANDRY
J'y suis guichetier depuis hier.
BURIDAN
parait que tu cumules : guichetier au Châtelet, assassin à la tour de Nesle !… Marguerite de Bourgogne doit te donner bien de l'occupation dans ces deux emplois !
LANDRY
Mais oui, assez.
BURIDAN
Et tu ne peux rien pour moi, pas même me faire venir un confesseur, celui que je te désignerai ?
LANDRY
Non ; mais je puis écouter votre confession, la répéter mot pour mot à un prêtre ; et s'il y a une pénitence à faire, foi de soldat ! je la ferai pour vous.
BURIDAN
Imbécile ! Peux-tu me donner de quoi écrire ?
LANDRY
Impossible.
BURIDAN
Peux-tu fouiller dans ma poche et y prendre une bourse pleine d'or ?
LANDRY
Oui, capitaine.
BURIDAN
Prends donc, dans cette poche… celle-ci.
LANDRY
Après ?
BURIDAN
Combien touches-tu de livres par an ?
LANDRY
Six livres.
BURIDAN
Compte ce qu'il y a dans cette bourse pendant que je vais réfléchir. — (Pause d'un instant.)
As-tu compté ?
LANDRY
Avez-vous réfléchi ?
BURIDAN
Oui ; combien y en a-t-il ?
LANDRY
Trois marcs d'or.
BURIDAN
Cent soixante-cinq livres tournois. Écoute. Il te faudra passer ici, dans une prison, vingt-huit ans de ta vie pour gagner cette somme. Jure-moi, sur ton salut éternel, de faire ce que je vais te prescrire, et cette somme est à toi : c'est tout ce que je possède. Si j'avais plus, je te donnerais plus.
LANDRY
Et vous ?
BURIDAN
Si l'on me pend, ce qui est probable, le bourreau se chargera des frais d'enterrement, et je n'ai pas besoin de cette somme ; si je me sauve, ce qui est possible, tu auras quatre fois cette somme, et moi mille.
LANDRY
Qu'y a-t-il à faire, capitaine ?
BURIDAN
Une chose bien simple. Tu peux sortir du Châtelet, et une fois sorti, n'y plus rentrer.
LANDRY
Je ne demande pas mieux.
BURIDAN
Tu iras te loger chez Pierre de Bourges, le tavernier, par devers les Innocents : c'est là où je logeais. Tu demanderas la chambre du capitaine, on te donnera la mienne.
LANDRY
Jusqu'à présent, cela ne me parait pas bien difficile.
BURIDAN
Écoute : une fois entré dans cette chambre, tu t'y renfermeras : tu compteras les dalles qui la pavent, à partir du coin où se trouve un crucifix. — (Landry se signe.)
Écoute-moi donc. Sur la septième, tu verras une croix ; tu la soulèveras avec ton poignard, et sous une couche de sable tu trouveras une petite boîte de fer dont la clef est dans cette bourse ; tu pourras l'ouvrir pour t'assurer que ce sont des papiers et non pas de l'or. Puis, si demain, à l'heure de la rentrée du roi dans Paris, tu ne m'as pas revu sain et sauf ; si je ne t'ai pas dit, rends-moi cette botte et cette clef, tu les remettras toutes deux à Louis X, roi de France, et si je suis mort, tu m'auras vengé. Voilà tout : mon âme sera tranquille, et c'est à toi que je le devrai.
LANDRY
Et je ne courrai pas d'autre risque ?
BURIDAN
Pas d'autre.
LANDRY
Vous pouvez compter sur moi.
BURIDAN
Sur ton salut éternel, tu promets de faire ce que je t'ai dit ?
LANDRY
Sur la part que j'espère dans le paradis, je le jure !
BURIDAN
Maintenant, adieu, Landry. Sois honnête homme, si tu peux.
LANDRY
Je ferai ce que je pourrai, mon capitaine ; mais c'est bien difficile.
(Il sort.)