ACTE CINQUIÈME - Scène III



(BURIDAN GAULTIER.)

BURIDAN (souriant.)
Je croyais que vous connaissiez mon nouveau titre et mon nouveau nom, messire Gaultier ; je me trompais, ce me semble ; depuis ce matin on me nomme Lyonnet de Bournonville et l'on m'appelle premier ministre.

GAULTIER
Peu m'importe de quel nom on vous nomme, peu m'importe quel titre est le vôtre, vous êtes un homme qu'un autre homme vient sommer de tenir sa promesse : étes-vous en mesure de la remplir ?

BURIDAN
Je vous ai promis de vous faire connaître le meurtrier de votre frère.

GAULTIER
Ce n'est pas cela : vous m'avez promis autre chose.

BURIDAN
Je vous ai promis de vous dire comment Enguerrand de Marigny est passé en un jour du palais du Louvre au gibet de Montfaucon.

GAULTIER
Ce n'est point cela : qu'il soit coupable ou non, c'est un débat entre ses juges et Dieu ; vous m'avez promis autre chose.

BURIDAN
Est-ce de vous apprendre comment l'homme arrêté par vous hier est aujourd'hui premier ministre ?

GAULTIER
Non, non : que ses moyens lui viennent de Dieu ou de Satan, peu m'importe ; il y a dans tout cela des secrets terribles que je ne veux pas approfondir : mon frère est mort, Dieu le vengera ; Marigny est mort, Dieu le jugera. Ce n'est pas cela ; vous m'avez promis autre chose.

BURIDAN
Expliquez-vous.

GAULTIER
Vous m'avez promis de me faire voir Marguerite.

BURIDAN
Ainsi votre amour pour cette femme étouffe tout autre sentiment !… L'amitié fraternelle n'est plus qu'un mot, les intrigues sanglantes de la cour ne sont plus qu'un jeu… Oh ! vous êtes bien insensé !

GAULTIER
Vous m'avez promis de me faire voir Marguerite.

BURIDAN
Avez-vous besoin de moi pour cela ? ne pouvez-vous entrer par la porte secrète de l'alcôve, où tremblez-vous que, cette nuit comme l'autre, Marguerite ne rentre pas au Louvre ?

GAULTIER (anéanti.)
Qui t'a dit cela ?

BURIDAN
Celui avec lequel Marguerite a passé la nuit

GAULTIER
Blasphème !… mais c'est toi qui es fou, Buridan.

BURIDAN
Calme-toi, enfant ; et ne tourmente pas ton épée dans le fourreau… C'est une femme belle et passionnée que Marguerite, n'est-ce pas ? Que t'a-t-elle dit quand tu lui as demandé d'où lui venait cette blessure à la joue ?

GAULTIER
Mon Dieu ! mon Dieu ! prenez pitié de moi.

BURIDAN
Sans doute elle t'a écrit ?

GAULTIER
Que t'importe ?

BURIDAN
C'est d'un style magique et ardent qu'elle peint la passion, n'est-ce pas ?

GAULTIER
Tes yeux damnés n'ont jamais vu, je l'espère, l'écriture sacrée de la reine.

BURIDAN (ouvrant la boîte de fer.)
La reconnais-tu ?… Lis : Ta Marguerite bien-aimée.

GAULTIER
C'est un prestige ! c'est un enfer !

BURIDAN
N'est-ce pas, quand on est près d'elle, quand elle vous parle d'amour, n'est-ce pas qu'il est doux de passer la main dans ses longs cheveux qu'elle laisse si voluptueusement flotter ; d'en couper une tresse comme celle-ci ?
(Il lui montre une tresse de cheveux enfermée dans la boîte.)

GAULTIER
C'est son écriture !… la couleur de ses cheveux !… Dis-moi que tu lui as volé cette lettre ; dis-moi que tu lui as coupé ces cheveux par surprise.

BURIDAN
Tu le lui demanderas à elle-même : je t'ai promis de te la faire voir.

GAULTIER
À l'instant ! à l'instant !

BURIDAN
Mais peut-être n'est-elle pas encore au rendez-vous.

GAULTIER
Un rendez-vous !… Qui a un rendez-vous avec elle ?… Nomme-moi celui-là… Oh ! j'ai soif de son sang et de sa vie.

BURIDAN
Ingrat ! et si celui-là t'y cédait sa place ?

GAULTIER
À moi ?

BURIDAN
Si, soit lassitude pour lui, soit compassion pour toi, il ne veut plus de cette femme : s'il te la cède ; s'il te la rend ; s'il te la donne ?

GAULTIER (tirant son poignard.)
Ah ! malédiction !…

BURIDAN
Jeune homme !…

GAULTIER
Oh ! mon Dieu !… pitié !

BURIDAN
Il est huit heures et demie ; Marguerite attend : Gaultier, la feras-tu attendre ?

GAULTIER
Où est-elle ? où est-elle ?

BURIDAN
À la tour de Nesle !

GAULTIER
Bien.
(Il va pour sortir.)

BURIDAN
Tu oublies la clef.

GAULTIER
Donne.

BURIDAN
Un mot encore.

GAULTIER
Dis.

BURIDAN
C'est elle qui a tué ton frère.

GAULTIER
Damnation !…
(Il disparaît.)

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