ACTE TROISIÈME - Scène V



(Les précédents ; LA REINE et GAULTIER, au balcon.)

GAULTIER
Est-il parmi ces jeunes seigneurs, Marguerite ?

MARGUERITE
C'est celui qui parle à Marigny, et qui tient l'épée nue.

GAULTIER
Bien.
(Ils disparaissent tous deux.)

MARIGNY
Je suis prêt, marchons.

BURIDAN (aux gardes.)
Conduisez le sire Enguerrand de Marigny au château de Vincennes.

MARIGNY
Et de là ?

BURIDAN
À Montfaucon probablement, monseigneur ; tous avez eu soin de faire élever le gibet, il est juste que vous l'essayiez. Ne vous plaignez donc pas.

MARIGNY
Capitaine, je l'avais fait élever pour les criminels et non pour les martyrs. La volonté de Dieu soit faite !

SAVOISY
Eh bien ! je réponds que, s'il en réchappe, le ministre croira désormais aux sorciers.

BURIDAN (laissant tomber sa tête sur sa poitrine.)
Cet homme est un juste !

PIERREFONDS
Ah ! miracle ! la poterne s'ouvre, messieurs.

SAVOISY
Pour laisser sortir, ce me semble, mais non pour laisser entrer.

GAULTIER (sortant avec quatre gardes, met la main sur l'épaule de Buridan qui lui tourne le dos.)
Est-ce vous qui êtes le capitaine Buridan ?

BURIDAN (se retournant.)
C'est moi.

GAULTIER
Eh quoi, c'est vous ? vous qui étiez à la taverne d'Orsini avec mon frère ? c'est vous qui êtes Buridan, soupçonné et accusé de sa mort ?

BURIDAN (regardant le balcon.)
Ah ! c'est moi qu'on accuse ?

GAULTIER
En effet, c'est vous qui l'excitiez à ce funeste rendez-vous… Je l'en détournais, moi ; vous l'y avez entraîné. Pauvre Philippe ! c'est donc bien vous ! Lisez cet ordre de la reine, monsieur.

SAVOISY
Ah ça, mais la reine a donc passé la nuit à signer des ordres ?

GAULTIER
Lisez haut.

BURIDAN
"Ordre de Marguerite de Bourgogne, reine régente de France, au capitaine Gaultier d'Aulnay, de saisir au corps partout où il le trouvera le capitaine Buridan." Et c'est vous qu'on a choisi pour mon arrestation ? On a voulu, je le vois, que vous fussiez exact au rendez-vous que vous a donné le moine ; il est dix heures, et à dix heures, en effet, nous devions nous rencontrer.

GAULTIER
Votre épée ?

BURIDAN
La voici. Mes tablettes ?…

GAULTIER
Vos tablettes ?

BURIDAN
Oui ; ne les avez-vous plus ?

SAVOISY
Ah ça, mais il parait qu'on arrête tout le monde aujourd'hui.

BURIDAN (ouvre vivement ses tablettes et cherche.)
Malédiction ! Gaultier, Gaultier ! ces tablettes sont sorties de vos mains ?

GAULTIER
Que dites-vous ?

BURIDAN
Ces tablettes sont passées entre les mains de la reine.

GAULTIER
Comment cela ?

BURIDAN
Un instant, une minute, n'est-ce pas ? par force ou par surprise… ces tablettes sont sorties un instant de vos mains, avouez-le donc.

GAULTIER
Je l'avoue. Eh bien ?

BURIDAN
Eh bien ! cet instant, si court qu'il ait été, a suffi pour signer un arrêt de mort ; cet arrêt est le mien ; et mon sang retombera sur vous, car c'est vous qui me tuez.

GAULTIER
Moi !

BURIDAN
Voyez-vous l'endroit où l'on a déchiré une feuille ?

GAULTIER
Oui.

BURIDAN
Eh bien ! sur cette feuille qui manque il y avait écrit par votre frère, avec le sang de votre frère, signé de la main de votre frère…

GAULTIER
Il y avait… quoi ? achevez donc.

BURIDAN
Oh ! vous ne le croirez pas maintenant, maintenant que la feuille est déchirée ; car l'on vous aveugle… car vous êtes un insensé !

GAULTIER
Il y avait… au nom du ciel ! achevez donc. Qu'y avait-il d'écrit sur cette feuille ?

BURIDAN
Il y avait…

MARGUERITE (paraissant au balcon.)
Gardes ! conduisez cet homme à la prison du grand Châtelet.
(Les gardes entourent Buridan.)

GAULTIER
Mais qu'y avait-il ?

BURIDAN
Il y avait : Gaultier d'Aulnay est un homme sans foi et sans honneur qui ne sait pas garder un jour ce qui a été confié à son honneur et à sa foi… Voilà ce qu'il y avait, gentilhomme déloyal ; voilà ce qu'il y avait. — (Se retournant vers le balcon.)
Bien joué, Marguerite ! À toi la première partie, mais à moi la revanche, je l'espère !… Marchons, messieurs.
(Sortie.)

SAVOISY
Si j'y comprends quelque chose, je veux que Satan m'extermine.

MARGUERITE
Vous oubliez que la porte du Louvre est ouverte, messeigneurs, et que la reine vous attend.

SAVOISY
Ah ! c'est juste ; allons faire notre cour à la reine.
(Tableau 6)
(Un caveau du grand Châtelet.)

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