ACTE QUATRIÈME - Scène V
(SAVOISY DE PIERREFONDS, GAULTIER, SIRE RAOUL, seigneurs.)
SAVOISY
Ça, sommes-nous éveillés, dormons-nous, messeigneurs ? quant à moi, je m'installe ici… — (Il s'assied.)
Si je dors, on m'éveillera ; si je veille, on me mettra à la porte ; mais je veux savoir comment finiront ces choses.
PIERREFONDS
Si nous demandions à Gaultier, peut-être est-il dans le secret. Gaultier !
GAULTIER (se jetant sur un fauteuil de l'autre côté.)
Oh ! laissez-moi, messeigneurs : je ne sais rien… je ne devine rien. Laissez-moi, je vous prie.
LANDRY
La porte s'ouvre.
L'OFFICIER (entrant par le fond.)
Le sire de Pierrefonds ?
PIERREFONDS
Voici.
L'OFFICIER
Ordre du roi.
(Il sort. Tous les courtisans se groupent autour de Pierrefonds.)
PIERREFONDS (lisant.)
"Ordre d'aller prendre à Vincennes le sire Enguerrand de Marigny, et de le conduire à Mont-faucon."
LANDRY
Bien, c'est un arrêt de mort au bas duquel le roi a mis sa première signature ; cela promet : bien des compliments sur la mission.
PIERREFONDS
J'en aimerais mieux une autre ; mais, quelle qu'elle soit, je vais l'accomplir. Adieu, messieurs.
(Il sort.)
LANDRY
Nous voilà toujours fixés sur un point : c'est que le premier ministre sera pendu… le roi avait promis de faire quelque chose pour son peuple.
L'OFFICIER (entrant.)
Le sire comte de Savoisy ?
LANDRY
Voici.
L'OFFICIER
Lettres patentes du roi.
(Il sort.)
TOUS (se rapprochant de Savoisy.)
Ah ! voyons, voyons.
SAVOISY
Sang-Dieu ! messeigneurs ; vous êtes plus pressés que moi : le premier ordre ne m'invite pas beaucoup à ouvrir le second ; et si par hasard c'était l'un de vous que je dusse aussi mener pendre, celui-là m'aura quelque obligation du retard… — (Il le déploie lentement.)
Ma commission de capitaine dans les gardes ! Y savez-vous une place vacante, messieurs ?
RAOUL
Non, mais à moins que Gaultier…
SAVOISY (regardant Gaultier.)
Sur Dieu ! vous m'y faites songer.
RAOUL
N'importe ; recevez nos félicitations.
SAVOISY
C'est bien, messieurs, c'est bien. Je dois à l'instant prendre mon poste dans les appartements… ainsi restez ici, si tel est votre bon plaisir. Messieurs, j'ai appris pour mon compte ce que je voulais. — (Riant.)
Le roi est un grand roi et le nouveau ministre un grand homme.
(Il sort.)
L'OFFICIER (rentrant.)
Sire Gaultier d'Aulnay ?
GAULTIER
Heim !
L'OFFICIER
Lettres patentes du roi.
GAULTIER (se levant.)
Du roi !
(Il les prend étonné.)
L'OFFICIER
Messeigneurs, le roi, notre sire, ne recevra pas après le conseil ; vous pouvez vous retirer.
GAULTIER (lisant.)
"Lettres patentes du roi, donnant au sire d'Aulnay le commandement de la comté de Champagne." À moi le commandement d'une province !… "Ordre de quitter demain Paris pour se rendre à Troyes." Moi, quitter Paris !…
RAOUL
Sire d'Aulnay, nous vous félicitons ; justice est faite, et la reine ne pouvait mieux choisir.
GAULTIER
Félicitez Satan ; car d'archange qu'il était, il est devenu roi des enfers. — (Il déchire l'ordre.)
Je ne partirai pas ! — (S'adressant aux seigneurs.)
Le roi n'a-t-il pas dit que vous pouviez vous retirer, messieurs ?
RAOUL
Et vous ?
GAULTIER
Moi, je reste.
RAOUL
Si nous ne vous revoyons pas avant votre départ, bon voyage, sire Gaultier.
GAULTIER
Dieu vous garde.
(Ils sortent.)
GAULTIER (seul.)
Partir !… partir, quitter Paris !… Est-ce cela qu'on m'avait promis ?… Mais qui me dira donc sur quel terrain je marche depuis quelques jours ? Tout, alentour de moi, n'est que déception ; chaque objet me parait réel jusqu'à ce que je le touche, puis alors il s'évanouit entre mes mains… Fantômes !