ACTE PREMIER - Scène VII
(ORSINI MARGUERITE.)
MARGUERITE
Orsini !
ORSINI
Madame ?
MARGUERITE
Où sont tes hommes ?
ORSINI
Là.
MARGUERITE
Prêts ?
ORSINI
Tout prêts, madame, tout prêts… La nuit s'avance.
MARGUERITE
Est-il donc si tard ?
ORSINI
L'orage se calme.
MARGUERITE
Oui ; écoute le tonnerre.
ORSINI
Le jour va venir.
MARGUERITE
Tu te trompes, Orsini, vois comme la nuit est encore sombre…
(Elle s'assoit.)
ORSINI
N'importe, madame ; il faut éteindre les flambeaux, relever les coussins, renfermer les flacons : vos barques vous attendent ; il faut repasser la Seine, rentrer dans votre noble demeure et nous laisser les seuls maîtres ici, les seuls maîtres.
MARGUERITE
Oh ! laisse-moi : cette nuit ne ressemble pas aux nuits précédentes ; ce jeune homme ne ressemble pas aux autres jeunes gens : il ressemble à un seul, si au-dessus de tous !… Ne trouves-tu pas, Orsini ?
ORSINI
À qui ressemble-t-il donc ?
MARGUERITE
À mon Gaultier d'Aulnay. Parfois je me suis surprise en le regardant, à croire que je voyais Gaultier : c'est un enfant tout d'amour et de passion ; c'est un enfant qui ne peut être dangereux, n'est-ce pas ?
ORSINI
Oh ! madame, que dites-vous là ? Songes donc que c'est un jouet qu'il faut prendre et briser ; que plus vous avez eu avec lui de bonté et d'abandon, plus il est à craindre… Il est bientôt trois heures, madame, retirez-vous, et abandonnez-nous ce jeune homme.
MARGUERITE (se levant.)
Te l'abandonner, Orsini ? non pas ; il est à moi. Va demander à mes sœurs si elles veulent t'abandonner les autres : si elles le veulent, c'est bien ; mais celui-là, il faut le sauver… Oh ! je le puis : car toute cette nuit je me suis contrainte ; toute cette nuit j'ai gardé mon masque ; il ne m'a donc pas vue, Orsini, ce noble jeune homme : mon visage est resté voilé pour lui : il me verrait demain qu'il ne pourrait me reconnaître. Eh bien ! je lui sauve la vie ; je veux que cela soit ainsi. Je le renvoie sain et sauf ; qu'il soit reconduit dans la ville ; qu'il vive pour se rappeler cette nuit, pour qu'elle brûle le reste de sa vie de souvenirs d'amour ; pour qu'elle soit un de ces rêves célestes qu'on a une fois sur la terre ; pour qu'elle soit pour lui enfin ce qu'elle sera pour moi.
ORSINI
Ce sera comme vous voudrez, madame.
MARGUERITE
Oui, oui, sauve-le ; voilà ce que j'avais à te dire, ce que j'hésitais à te dire. Maintenant que je te l'ai dit, fais ouvrir la porte ; fais rentrer les poignards dans le fourreau : hâte-toi, hâte-toi !
(Orsini sort.)