ACTE CINQUIÈME - Scène VII
(MARGUERITE BURIDAN.)
BURIDAN (faisant voler la fenêtre en morceaux et se présentant.)
Marguerite ! Marguerite ! seule ! ah ! seule encore ! Dieu soit loué !
MARGUERITE ( reculant.)
À moi ! à moi !
BURIDAN
Ne crains rien.
MARGUERITE
Toi, toi ! venant par cette fenêtre ! c'est une apparition, un fantôme.
BURIDAN
Ne crains rien, te dis-je.
MARGUERITE
Mais pourquoi par cette fenêtre et non par cette porte ?
BURIDAN
Je te le dirai tout à l'heure ; mais auparavant il faut que je te parle ; chaque minute que nous perdons est un trésor jeté dans un gouffre. Écoute-moi.
MARGUERITE
Viens-tu encore me faire quelque menace, m'imposer quelque condition ?
BURIDAN
Non, non : tiens, regarde ; non, tu n'as plus rien à craindre. Tiens, voilà loin de moi mon épée ! loin de moi mon poignard ! loin de moi cette boîte où sont tous nos secrets ! Maintenant tu peux me tuer, je n'ai pas d'arme, pas d'armure ; me tuer, puis prendre cette boîte, brûler ce qui s'y trouve, et dormir tranquille sur mon tombeau. Non, je ne viens pas te menacer. Je viens te dire… oh ! si yu savais ce que je viens te dire ! ce qui peut nous rester encore de jours de bonheur, à nous qui, nous-mêmes, nous sommes crus maudits.
MARGUERITE
Parle, je ne te comprends pas.
BURIDAN
Marguerite, ne te reste-t-il rien dans le cœur, rien d'une femme, rien d'une mère ?
MARGUERITE
Où veux-tu en venir ?
BURIDAN
Celle que j'ai connue si pure n'est-elle plus accessible à rien de ce qui est sacré pour Dieu et les hommes ?
MARGUERITE
C'est toi qui viens me parler de vertus et de pureté ! Satan qui se fait convertisseur ! c'est étrange, tu en conviendras toi-même.
BURIDAN
Peu importe quel nom tu me donnes, pourvu que ma parole te touche… Marguerite, n'as-tu jamais eu un instant de repentir ? Oh ! réponds-moi comme tu répondrais à Dieu : car, ainsi que Dieu, je puis tout en ce moment pour ton bonheur ou ton désespoir… je puis te damner ou t'absoudre ; je puis, à mon gré, t'ouvrir l'enfer ou le ciel… Suppose que rien ne s'est passé entre nous depuis trois jours… oublie tout, excepté ton ancienne confiance envers moi… n'as-tu pas besoin de dire à quelqu'un tout ce que tu as souffert ?
MARGUERITE
Oh ! oui, oui, car il n'est point de prêtre à qui on ose confier de pareils secrets ! il n'y a qu'un complice et tu es le mien ! le mien, de tous mes crimes ! Oui, Buridan… ou plutôt Lyonnet, oui, tous mes crimes sont dans ma première faute !… Si la jeune fille n'avait pas manqué pour toi, pour toi, malheureux, à ses devoirs, son premier crime, son plus horrible, n'aurait pas été commis ; pour qu'on ne me soupçonnât pas de la mort de mon père, j'ai perdu mes fils !… Poursuivie par le remords, je me suis réfugiée dans le crime !… j'ai voulu étouffer dans le sang et les plaisirs cette voix de la conscience qui me criait incessamment : Malheur !… Autour de moi pas un mot pour me rappeler à la vertu, des bouches de courtisans qui me souriaient, qui me disaient que j'étais belle, que le monde était à moi, que je pouvais le bouleverser pour un moment de plaisir !… pas de forces pour lutter… des passions, des remords… des nuits pleines de spectres, si elles ne l'étaient de volupté !… Oh ! oui, oui, il n'y a qu'à un complice qu'on puisse dire de pareilles choses !
BURIDAN
Mais, dis-moi, si près de toi tu avais eu tes fils ?
MARGUERITE
Oh ! alors, aurais-je osé sous leurs yeux, quand la voix de mes enfants m'eût appelée ma mère ! aurais-je osé faire des projets de meurtre et d'amour ? Oh ! mes fils m'eussent sauvée, ils m'eussent rendue à la vertu peut-être… Mais je ne pouvais garder mes fils ! Ô mes fils !… Oh ! je n'osais pas prononcer ces mots !… car, parmi les spectres que j'ai revus, je n'ai point revu mes fils, et je tremblais en les appelant d'évoquer leurs ombres !
BURIDAN
Malheureuse ! ils étaient près de toi, et rien ne t'a dit : Marguerite, voilà tes fils !
MARGUERITE
Près de moi ?
BURIDAN
L'un d'eux, malheureuse mère, l'un d'eux… tu l'as vu à tes genoux, demandant merci contre le poignard des assassins ! Tu étais là, tu entendais ses prières… et tu n'as pas reconnu ton enfant, et tu as dit : Frappez !
MARGUERITE
Moi, moi… où cela ?
BURIDAN
Ici, à cette place où nous sommes.
MARGUERITE
Ah ! quand ?
BURIDAN
Avant-hier.
MARGUERITE
Philippe d'Aulnay ? vengeance de Dieu !
BURIDAN
Voilà ce qu'est devenu l'un… Marguerite, pense à ce qu'est l'autre.
MARGUERITE
Gaultier ?
BURIDAN
L'amant de sa mère !
MARGUERITE
Oh ! non, non ; grâce au ciel, cela n'est pas, et j'en remercie Dieu, je l'en remercie à genoux… Non, non, je puis encore appeler Gaultier mon fils, et Gaultier peut m'appeler sa mère.
BURIDAN
Dis-tu vrai ?
MARGUERITE
Par le sang du martyr qui a coulé là, je te le jure !… Oh ! oui, oui, c'est la main de Dieu qui a dirigé tout cela, qui m'a mis au cœur cet amour bizarre, tout de mère et pas d'amante ! c'est Dieu… Dieu bon, Dieu sauveur qui voulait qu'avec le repentir le bonheur revint dans ma vie !… Oh ! mon Dieu, merci, merci !
(Elle prie.)
BURIDAN
Eh bien ! Marguerite, me pardonnes-tu, vois-tu encore en moi un ennemi ?
MARGUERITE
Oh ! non, non, le père de Gaultier !
BURIDAN
Ainsi ! tu le vois, nous pouvons être heureux encore !… Nos vœux d'ambition sont remplis, plus de lutte entre nous… Notre fils est le lien qui nous attache l'un à l'autre… Notre secret sera enseveli entre nous trois !
MARGUERITE
Oui, oui !
BURIDAN
Crois-tu que tu peux encore être heureuse ?
MARGUERITE
Oh ! si je le crois ! et il y a dix minutes, cependant, je ne l'espérais plus.
BURIDAN
Une seule chose manque à notre bonheur, n'est-ce pas ?
MARGUERITE
Notre fils, notre fils là, entre nous deux… notre Gaultier.
BURIDAN
Il va venir.
MARGUERITE
Comment !
BURIDAN
Je lui ai remis la clef que tu m'avais donnée. Il va venir par cet escalier par où je devais venir, moi.
MARGUERITE
Malédiction ! et comme c'était toi que j'attendais, j'avais placé… damnation !… j'avais placé des assassins sur ton passage !
BURIDAN
Je te reconnais bien là, Marguerite.
(On entend un cri dans l'escalier.)
MARGUERITE
C'est lui, lui qu'on égorge !
BURIDAN
Courons !…
(Ils vont à la porte qu'ils secouent.)
MARGUERITE
Qui donc a fait fermer cette porte ? Oh ! c'est moi… moi ! Orsini, Orsini ! ne frappe pas, malheureux !
BURIDAN (secouant la porte.)
Porte d'enfer !… mon fils ! mon fils !!!
MARGUERITE
Gaultier !
BURIDAN
Orsini !… démon !… enfer ! Orsini !!!
MARGUERITE
Pitié ! pitié !
GAULTIER (en dehors, criant et appelant au secours.)
Á moi ! à moi ! au secours !
MARGUERITE
La porte s'ouvre !
(Elle recule.)