Acte III - Scène XIII



Les Mêmes, moins Mathieu, puis Victoire puis Boucard

Victoire
(annonçant.)
Monsieur le Commissaire de police.

Tous
Le Commissaire !

Pinglet
Allons bon ! l'autre !

Paillardin
Ah bien ! Il arrive bien !

Pinglet
(à part.)
Nous sommes flambés !
(Il tourne le dos à Boucard qui entre.)

Paillardin et Madame Pinglet
(à Boucard.)
Entrez, Monsieur, entrez !

Boucard
Monsieur Paillardin, je vous prie ! Monsieur Paillardin !

Madame Pinglet
C'est nous ! Monsieur ! C'est nous !

Paillardin
C'est moi, Monsieur !
(Il fait descendre Boucard en le précédant.)

Boucard
Oh ! Monsieur, je vous demande pardon, je ne vous ai pas reconnu tout de suite. D'abord le temps est très couvert et puis cette nuit, quand je vous ai vu, vous étiez si barbouillé de noir !…

Paillardin
(interloqué.)
Moi ?

Boucard
Oh ! mais je vous reconnais très bien.

Paillardin et Madame Pinglet
Hein !

Pinglet
(bas à Marcelle.)
Il le reconnaît ! Ah bien ! ça, c'est pas mal !

Paillardin
Vous me reconnaissez, moi ?

Boucard
Mais parfaitement ! puisque je vous ai surpris cette nuit avec madame Pinglet, à l'hôtel du Libre Echange.

Madame Pinglet
Moi ! moi ! vous m'avez surprise… ?

Paillardin
Et moi avec elle ?

Boucard
(se retournant vers madame Pinglet.)
Ah ! madame Pinglet, sans doute !

Madame Pinglet
Oui, Monsieur ! Madame Pinglet !

Boucard
Excusez-moi, Madame… Il était si difficile de distinguer votre visage sous votre voile de dentelle.

Madame Pinglet
Moi ?

Boucard
Mais maintenant je vous remets très bien.

Tous
Hein !

Boucard
(à part.)
Elle n'est pas jolie.

Madame Pinglet
Vous me remettez, moi ?

Pinglet
(ravi, bas à Marcelle.)
Il la remet !… De mieux en mieux !

Paillardin
Eh ! Monsieur, il est impossible que vous nous remettiez ! et pour la bonne raison que vous ne nous avez jamais arrêtés à l'hôtel du Libre Echange.

Boucard
Comment, je ne vous ai pas arrêtés ; puisque je vous ai interrogés et que je vous ai rendu votre liberté sous caution !

Paillardin
Eh ! Monsieur ! Si vous avez arrêté quelqu'un, c'est quelques farceurs qui ont pris nos noms et qualités.

Boucard
Oh ! ça !… Oh ! d'ailleurs, cela n'a pas d'importance !

Paillardin et Madame Pinglet
Comment, ça n'a pas d'importance !

Boucard
Mais oui ! puisque l'affaire ne doit pas avoir de suite. J'ai même été désolé que mon secrétaire vous ait envoyé une citation quand j'ai su ce matin qui vous étiez : Monsieur Paillardin, architecte, expert auprès des tribunaux ! Car, vous êtes bien expert auprès des tribunaux ?

Paillardin
Oui, Monsieur ! Passons ! Cela importe peu dans l'affaire !

Boucard
Mais je vous demande pardon ! Peut-être pas pour vous ! mais pour moi ! J'ai justement besoin d'un expert !… et je ne savais à qui m'adresser !

Paillardin
Mais Monsieur…

Boucard
Oh ! Monsieur, combien je suis aise d'être tombé sur vous !… Voici en deux mots ce qui m'amène. J'ai une petite maison à la campagne…

Paillardin
(impatienté.)
Eh ! Monsieur, il ne s'agit pas de votre maison, il s'agit de l'affaire de cette nuit !

Boucard
Mais, je vous le répète, ne vous en occupez plus !… Puisque vous justifiez d'un domicile et de moyens d'existence, vous ne relevez pas de la police !

Paillardin
Eh ! Monsieur, ce n'est pas pour la police ce que j'en fais !… C'est pour Monsieur et Madame !
(Il indique Pinglet et Marcelle.)

Boucard
(saluant.)
Monsieur !… Madame !…
Ils lui rendent son salut de dos.

Paillardin
Nos époux respectifs qui, sur la foi de votre citation… s'imaginent que, véritablement, cette nuit… Eh ! bien, comme tout cela est faux, j'entends que vous les détrompiez et que vous affirmiez hautement que vous ne nous reconnaissez pas !

Boucard
Mais, Monsieur, voilà une heure que je ne fais que ça.

Paillardin
Oh ! pardon ! pardon ! ce n'est pas comme cela que je l'entends ! Vous dites que vous n'êtes pas en état de reconnaître nos visages, attendu que vous ne les avez pas vus ! mais vous n'en déclarez pas moins que c'est nous que vous avez arrêtés !

Boucard
Dame, Monsieur ! il m'est difficile…

Paillardin
Mais enfin, tâchez de vous souvenir !… Regardez-nous bien !

Madame Pinglet
Si vous n'avez pas vu la figure de la dame, rappelez-vous sa silhouette, sa taille…
Pinglet masque Marcelle à la vue de Boucard.

Boucard
Ça !… Il me semble qu'elle m'avait paru plus… moins conséquente…, mais il se peut que ce soit un effet d'optique. Mon commissariat est bien plus large, bien plus élevé qu'ici, alors ça diminue les proportions.

Madame Pinglet
Oh !

Boucard
Je ne me rappelle qu'une chose, (Mouvement)
c'est que la personne en question avait une robe puce.

Madame Pinglet
Oui ? Eh bien ! je n'en ai pas !

Marcelle
(vivement.)
Moi non plus !

Pinglet
(bas.)
Taisez-vous donc !

Paillardin
Eh ! toi, tu n'es pas en question !

Boucard
(à madame Pinglet.)
Tout cela est malheureusement trop vague pour me permettre d'affirmer.

Paillardin
Eh ! bien alors, Monsieur, faites une enquête.

Boucard
Une enquête !

Pinglet
(à part.)
Sont-ils indiscrets d'insister comme ça !

Boucard
C'est que j'aurais bien voulu vous parler pour ma petite maison.

Paillardin
Oui !… Eh bien, plus tard ! Vous en avez arrêté d'autres que nous cette nuit, n'est-ce-pas ?… Eh ! bien, interrogez-les… et nous verrons bien s'ils nous reconnaissent !… Où sont-ils, ceux que vous avez arrêtés ?

Boucard
Attendez ! J'ai la liste !

Paillardin
Passez moi ça ! (Lisant.)
Gaëtan Beuf… Connais pas !… Adèle Dubois, dite Flore, Bastien Morillon… Monsieur Mathieu et ses filles…

Madame Pinglet
(vivement.)
Mathieu !… Quel Mathieu ?… Mais nous en avons un ici, un Mathieu.

Pinglet
(à part.)
Fitchtre !

Boucard
Ici ?

Madame Pinglet
Parfaitement… et qui a quatre filles !

Paillardin
Il nous a dit justement qu'il avait passé la nuit au dépôt.

Pinglet
(vivement.)
… toir, au dépotoir !

Paillardin
Non, non ! C'est toi qui as dit "toir". Lui a dit "dépôt".

Boucard
Mais alors, c'est lui !

Madame Pinglet
Ah ! nous allons bien voir ! Nous allons lui demander ! (Appelant.)
Mathieu ! Mathieu !

Marcelle
(bas à Pinglet.)
Pinglet ! la terre me manque !

Pinglet
Ne faites pas ça !

Madame Pinglet
(ouvrant la porte de la chambre de Pinglet.)
Mathieu ! Mathieu !

Paillardin
(appelant aussi.)
Monsieur Mathieu !

Autres textes de Georges Feydeau

Un fil à la patte

"Un fil à la patte" est une comédie en trois actes de Georges Feydeau. Elle raconte l'histoire de Fernand de Bois d'Enghien, un homme qui souhaite rompre avec sa maîtresse,...

Un bain de ménage

"Un bain de ménage" est une pièce en un acte de Georges Feydeau. Elle se déroule dans un vestibule où une baignoire est installée. La pièce commence avec Adélaïde, la...

Tailleur pour dames

(Au lever du rideau, la scène est vide.)(Il fait à peine jour. Étienne entre par la porte de droite, deuxième plan.)(Il tient un balai, un plumeau, une serviette, tout ce...

Séance de nuit

(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...

Par la fenêtre

Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024