Sur le palier, Bastien, puis Boulot
Bastien
(assis devant la table de droite.)
Là !… Une bougie et une bougie, ça fait quatre bougies !… Ça n'a l'air de rien… Eh bien, en quinze ans car voilà déjà quinze ans que je suis à l'hôtel du Libre-Echange ah ! j'en ai vu !… ah ! j'en ai vu ! En quinze ans, rien que par ce petit dédoublement-là, la bougie m'a déjà rapporté plus de six mille francs !… Ah ! dame, y a pas de petits carottages !…
Boulot
(dégringolant l'escalier, éperdu.)
Oh ! là, mon Dieu ! Oh ! là, mon, mon Dieu !…
Bastien
Eh ! bien, qu'est-ce que vous avez donc, monsieur Boulot ? vous avez l'air tout bouleversé !
Boulot
Ah ! monsieur Bastien, si vous saviez ce que je viens de voir ! Ce n'est pas ma faute cependant ; j'avais frappé comme vous m'avez dit qu'il fallait le faire !
Bastien(se levant. )
Eh ! bien, quoi ! Qu'est-ce qu'il y a ?
Boulot
Le 32 avait sonné, monsieur Bastien. J'ai frappé à la porte. On m'a répondu, Entrez !… Je suis entré… Il y avait une dame toute nue !
Bastien
(tranquille.)
Eh ! bien, après ?…
Boulot
(effaré.)
Eh ! bien, je vous dis, une dame toute nue !… Monsieur Bastien, mais là, nue de nue !…
Bastien
Eh ! bien, j'entends bien !
Boulot
Et elle m'a dit, "Garçon, apportez-moi les cartes à jouer !…" Qu'est-ce que vous auriez fait à ma place ?
Bastien
Eh ! bien, je lui aurais apporté les cartes à jouer !
Boulot
Toute nue ?
Bastien
Mais, dame !
Boulot
Et vous trouvez ça nature ?
Bastien
Une femme toute nue ? Je te crois !
Boulot
Ah ! comme la vie est autre à Paris qu'en province !…
Bastien
Boulot, mon ami, il faudra vous déprovincialiser ici ! D'ailleurs, je suis certain qu'avant quinze jours de service dans cet hôtel vous serez cuirassé ! Vous apporterez comme moi dans les choses de la vie l'indifférence et le mépris. (Il se remet à couper ses bougies.)
En attendant, puisque je vous tiens, vous allez me faire le plaisir d'aller frapper au 9.
Boulot
Au 9 ?… Bien, monsieur Bastien !… Je n'ai pas à m'inquiéter dans quelle tenue elle sera ?
Bastien
Oh ! ce n'est pas une dame, c'est un pion ! C'est Chervet, le pion suppléant au lycée Fontanes. Je viens de recevoir un mot du patron qui trouve qu'il y a assez de temps qu'il ne paie plus et qui me donne l'ordre de l'expulser en gardant sa malle… Allez et fichez-le à la porte !…
Boulot
Moi ?…
Bastien
Eh bien ! oui !
Boulot
Monsieur Chervet ! mais c'est ce monsieur qui est si rageur !… et qui parle toujours de vous brûler la cervelle !…
Bastien
Hé ! c'est des mots, tout ça !
Boulot
Oui, mais s'il me la brûle ?
Bastien
Vous viendrez me le dire !… Allez, Boulot !…
Boulot
Bien, monsieur Bastien. (Devant le 9.)
Ah ! voilà des corvées que je n'aime pas !…
(Il frappe timidement.)
Chervet
(d'une voix forte.)
Entrez !
Boulot
(reculant, effrayé, puis ouvrant la porte.)
J'aimerais mieux retourner chez la dame d'en haut.
(Sortie.)
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